mardi 28 décembre 2010

Les cathares

La chrétienté de l’An Mil
Autour de l’an Mil, un appétit neuf de religiosité émerge, ouvert sur une redécouverte du message du Nouveau Testament, de l’idéal de l’Eglise primitive et de la promesse du salut. C’est de la recherche spirituelle passionnée au sein du peuple chrétien que monte la figure de l’hérétique. Elle est le résultat de l’imaginaire des moines, qui se sentent concurrencés par plus religieux qu’eux, ou d’un paroxysme dans les mouvements évangéliques charismatiques du temps.
Un anticléricalisme populaire existe. Des hommes et des femmes, unis dans leur volonté de se conformer au seul modèle des apôtres et à la seule loi de l’Evangile, rejettent les excroissances de l’institution Eglise, ses sacrements non fondés en Ecriture, ses pratiques superstitieuses, le laisser aller des mœurs de son clergé paroissial, comme les prétentions temporelles de ses prélats. Ces chrétiens exigeants contestent l’humanité du Christ et donc le sacrement de l’eucharistie, qui est au centre des pratiques catholiques, et ils concurrencent l’Eglise en célébrant un baptême par imposition des mains.


Les églises cathares européennes
Vers 970, le prêtre bulgare Cosmas consacre un traité aux multiples aberrations théologiques de ceux qu’il nomme les Bogomiles. Ces derniers ont une lecture duale de la Bible. Le monde, création de Lucifer, est empreint de mal.
Au XIIe siècle en Rhénanie, des hommes se faisant appelés l’Eglise des apôtres, sont condamnés à Cologne. Ils ne reconnaissent pas le caractère humain du Christ. Ils remplacent l’eucharistie par une simple bénédiction du pain. Les pêchés sont révoqués grâce à un sacrement de baptême, par imposition des mains. Comme les Bogomiles, ils pratiquent leur initiation chrétienne en deux étapes d’enseignement théologique. Ils calquent leur vie sur celle des apôtres et prétendent constituer la véritable Eglise. Pauvres et non violents, ils dénient tout caractère d’authenticité à la grande Eglise puissante et opulente, dont les Pères se sont écartés de la voie du Christ.
Le terme « cathare » fait référence à une secte antique de manichéens et de chatistes, des sorciers adorateur du chat. Il apparaît dans les textes d’un religieux de Rhénanie, Eckert de Schönau. Le terme se généralise, en 1848, avec l’ouvrage de Charles Schmidt intitulé Histoire et doctrine de la secte des cathares.
Quelques mois après les condamnations de Cologne, Bernard de Clairvaux prend la tête d’une mission de prélats, afin de poursuivre et confondre le moine Henri. Ce dernier prêche aux foules méridionales un évangélisme non conforme. Au milieu du XIIe siècle, cet évangélisme est déjà fortement présent dans les villes, où des communautés placées sous la protection de la petite noblesse empreinte d’anticléricalisme sont présentes.
En 1167 à Saint Félix en Lauragais, une assemblée des Eglises hérétiques européennes se réunit sous la présidence d’un dignitaire bogomile en la personne de l’évêque Nicétas. L’Eglise du Toulousain est à la base de l’initiative de la rencontre. Les communautés occitanes et leurs conseils d’Eglise élisent des évêques. Nicétas confère un baptême de l’Esprit à tous les chrétiens, mais il est surtout venu pour prêcher la nécessaire indépendance des Eglises vis à vis des autres. En Italie, l’Eglise cathare se scinde en plusieurs groupes, tandis qu’en France elle reste unie.


Le temps de grâce de l’hérésie
Dès 1145, la mission de Bernard de Clairvaux en Albigeois et Toulousain, révèle les fortes tendances de l’aristocratie et des villes à l’anticléricalisme. Cette petite et moyenne noblesse détourne à son profit les redevances destinés à l’Eglise. Les prélats ecclésiastiques et les monastères constituent pour eux des rivaux politiques. Ils se vengent en favorisant dans leurs cours de nouvelles valeurs. Ils considèrent avec ferveur cette autre Eglise chrétienne. Une Eglise intellectuellement correcte, qui n’exige aucune dîme, travaille pour vivre et se détache des affaires séculières. Les femmes y trouvent leur intérêt, car le sacerdoce leur est accessible. En Occitanie, le christianisme cathare apparaît comme une manière distinguée de faire son salut. Le soutien de la noblesse empêche les autorités catholiques de mener des répressions physiques.
Le catharisme s’est autant diffusé par le haut que par le bas. Les maisons cathares s’ouvrent dans les bourgs, anticipant la pratique des Ordres mendiants. Leurs religieux peuvent circuler librement et la liturgie est en langue vernaculaire et non en latin et se fait en public. Chacun peut constater par lui même que les religieux et religieuses suivent avec rigueur le modèle des apôtres. Les communautés religieuses sont visitées chaque mois par un diacre, qui administre une liturgie de pénitence collective. Les diacres sont désignés par la hiérarchie épiscopale de chaque Eglise, elle même administrée par un conseil composé de l’évêque et de ses deux coadjuteurs.
Les religieux cathares porte la parole biblique au sein des foyers. Ils lisent les textes des évangiles. Ils insistent particulièrement sur le dualisme de l’univers. Les Hommes sont des anges tombés dans les prisons charnelles de ce monde mauvais, qui n’est pas la création de Dieu. A leurs yeux, ce n’est ni pour souffrir, ni pour mourir sur la croix que Jésus est venu sur Terre. Il devait rappeler aux anges, l’amour du Père pour ses anges. Les apôtres avaient pour mission de diffuser ce message d’éveil destiné à tous les hommes. Avant de regagner le ciel, le Christ enseigna aux hommes les préceptes de la loi de vie : refus de la violence et du mensonge et les gestes du sacrement assurant le salut. Les religieux cathares de part leur austérité de leurs mœurs apparaît comme les plus à même de garantir le salut, principal préoccupation du peuple.
Dieu n’a aucun pouvoir, ni responsabilité dans ce monde, qui n’est pas le sien. Après l’apocalypse, toutes les âmes délivrées du mal s’envoleront au paradis. Rien de visible ne peut évoquer la volonté de Dieu. Ils ne bâtissent ni temple, ni chapelle et encore moins des châteaux. Seuls le cœur est l’Eglise de Dieu. C’est une vision positive de l’avenir et qui rationalise les choses. Les cathares ne se préoccupent pas des affaires du siècle, qui n’ont finalement aucun lien avec la volonté divine.


L’alliance du pape et du roi de France
Au milieu du XIIe siècle, les autorités catholiques se dotent d’un véritable arsenal juridique de répression et d’exclusion. Désormais, les cathares sont systématiquement poursuivis et condamnés. Le concile de Reims de 1157 organise les persécutions. Les bûchers apparaissent. A Toulouse, les cathares reçoivent l’appui du comte Raymond VI et les inquisiteurs ne peuvent plus intervenir. Le frère Dominique décide de reconquérir les consciences en prêchant dans l’humilité et dans la pauvreté.
Au concile de Latran de 1215, Innocent III définit le cadre strict d’une orthodoxie et d’une communauté de fidèles, en dehors desquelles s’étendent les ténèbres et l’exclusion. Saisissant le prétexte de l’assassinat de son légat Pierre de Castelnau à Toulouse, il appelle à la croisade contre les hérétiques. Les combats durent de 1209 à 1229. Le Pape aidé par les armées royales, mettent à mal les forces comtales et brûlent de nombreux hérétiques. L’établissement à Toulouse et à Carcassonne d’une nouvelle dynastie comtale soumise à Rome. En 1224, Amaury de Montfort cède tous ses droits sur le Languedoc au roi de France. En 1229, Raymond VII s’engage à obéir au roi et à combattre l’hérésie en démantelant ses places fortes.
Si le Languedoc est devenu français, le catharisme n’a pas disparu. Au contraire, il s’est renforcé par la gloire des martyres. Seulement, l’Eglise cathare ne reçoit plus le soutien de l’aristocratie locale. Le tribunal de l’Inquisition chasse les cathares tombés dans la clandestinité. Ce tribunal ne dépend que du Pape. Il fonctionne comme un confessionnal itinérant et obligatoire. Escortés de soldats. Secondés de scribes et de notaires, les juges interrogent toute la population adulte, encourage la délation. L’Inquisition tue peu, optant davantage pour la confiscation des biens. Seuls les prédicateurs sont condamnés au bûcher.
Le comte de Toulouse tente de se défaire de sa soumission au roi de France. Il cherche l’appui du roi d’Angleterre et de la population. En 1242, des franciscains et des dominicains sont assassinés à Montségur. Le pays sombre dans la révolte. Louis IX parvient à les écraser et le comte doit renouveler son serment de fidélité. Il meurt en 1249.


L’élimination du catharisme
Au tout début du XIVe siècle, une petite Eglise se reconstitue en Gascogne. Elle bénéficie du soutien de nombreux croyants au sein de la population. L’initiative en revient Pierre et Guilhem, deux notaires d’Ax. Les deux hommes s’activent à susciter des vocations, à enseigner, à ordonner de nouveaux religieux. Les inquisiteurs répondent par des opérations massives de police. L’un après l’autre, les derniers cathares sont capturés et brûlés. Ainsi s’éteint le catharisme. Il ne reste plus que sur ces terres un fort sentiment anticlérical.



« D’eux-mêmes ils disent : Nous, pauvres du Christ, errants, fuyant de cité en cité, nous souffrons la persécution avec les apôtres et les martyrs ; pourtant, nous menons une vie très sainte. »
Evervin de Steinfeld


Source :
Texte : BRENON. Anne : Les Cathares pauvres du Christ ou apôtres de Satan ?
Image : lionsdeguerre.com