samedi 23 octobre 2010

Alexandre le Grand


Grecs et Perses
Malgré la résistance acharnée d'un petit détachement spartiate chargé de la garde du défilé des Thermopyles, les Perses dirigés par Xerxès gagnent la Grèce, mais la batailles de Salamine en -480 les force à rebrousser chemin. L'année suivante la défaite perse de Platées permet aux Grecs de s'établir en Asie Mineure.

En -386, le roi perse Artaxerxés reconquiert les cités d'Asie Mineure. L'Athénien Isocrate et ses amis veulent réagir, mais pour cela il faut que les Grecs s'unissent sous le commandement d'une seule cité-état. Voyant ce rassemblement impossible, il fait appel au roi de Macédoine Philippe II.
Philippe II accède au trône en -359. Il renforce son autorité sur la noblesse, réorganise l'armée en les dotant de puissantes phalanges, consolide et étend les frontières de son royaume. En -338, Philippe II entre avec son année en Grèce. Il profite des dissensions entre les états pour en prendre le contrôle. Il convoque à Corinthe une assemblée des délégués des cités et des états, au sein de laquelle fut décidée la création de la Ligue de Corinthe. Une paix commune fut conclue et les libertés conservées, mais les cités ne doivent pas faire de changement politique et fournir à la Macédoine des soldats.

En -336, Philippe II prépare une grande offensive pour libérer les cités d'Asie Mineure. Cependant, lors du mariage de sa fille Cléopâtre, il est assassiné. Son fils Alexandre III lui succède. Ce dernier a reçu une éducation physique et littéraire poussée. Ses précepteurs n'étaient autres que Léonidas et Aristote. Son père lui a enseigné les rudiments de la politique et de la stratégie militaire. En -338, il a fait ses premières armes à la bataille de Chéronée(1). Alexandre désire continuer le projet de son père, mais des troubles dans les Balkans l'obligent encore à repousser la date, puis c'est une révolte dans certaines cités grecques menée par Thèbes. Il fait raser la ville, afin de dissuader toute nouvelle rébellion.

L'Empire perse ou Achéménide du nom de la dynastie régnante, s'est constitué au VIe siècle av JC, sous l'impulsion du roi Cyrus Ier, qui unit tous les royaumes du Proche et Moyen Orient. L'empire est parsemé de routes commerciales surveillées par une police de la route. Le territoire est découpé en vingt satrapies dirigées par des satrapes. Ils sont chargés de faire régner l'ordre et disposent pour cela de troupes permanentes. Ils lèvent aussi les taxes. La langue perse ne s'est jamais diffusée. Les peuples ont conservé leur langue, leur coutume, leur religion et leur écriture. Il existe toutefois une langue officielle qui est l'araméen utilisée dans les palais. L'empereur dirige son empire en s'appuyant sur les élites locales. Toutefois, les grandes charges sont réservées uniquement aux Perses. C'est la cohésion politique et culturelle des Perses, tout autant que leur dévouement au roi et à la dynastie qui expliquent la longévité de l'empire. De plus, la puissance politique et économique des nobles perses dépend du maintien de la domination sur les terres et les populations.

Au IVe siècle av JC, les Grecs disent des Perses qu'ils sont décadents par le luxe de la table et les plaisirs du harem. En fait, le roi perse peut à tout moment mobiliser une puissante armée et ses ressources financières sont immenses.


La Conquête des côtes
En -334, Alexandre se lance à la conquête de l'Empire perse. Ils laissent en Macédoine 12.000 fantassins et 1.500 cavaliers, chargés d'assurer la sécurité intérieure. La cavalerie est constituée des nobles et l'infanterie des paysans. De plus, il lève dans les cités grecques 1000 fantassins et 600 cavaliers. A côté des soldats se crée une gigantesque caravane pour le transport de guerre et de vivres, plus des valets et la suite des nobles, qui comprend parfois les femmes et les enfants. A cela s'ajoutent une multitude de marchands. Le corps supérieur des officiers est composé des nobles macédoniens. Certains occupaient déjà ce poste sous Philippe II. C'est le cas par exemple du diplomate Parménion ou du général Antigone le Borgne. Mais Alexandre cherche de plus en plus à s'appuyer sur des hommes de son âge tel Héphestion. Les deux hommes ont grandi ensemble. L'honneur de commander le bataillon royal revient à Kleitos le frère d'Alexandre. Des chroniqueurs font également partie du voyage. C'est le cas par exemple de Ptolémée, qui fondera la dynastie portant le même nom.

Connaissant pourtant les intentions d'Alexandre, Darius III ne décrète pas la mobilisation générale dans l'empire. Il nomme Memnon originaire de Rhodes pour surveiller les côtes. Ce dernier applique la tactique de la terre brûlée, afin d'épuiser encore plus vite les provisions des Macédoniens. Toutefois, devant ses généraux, il doit céder et préparer une bataille rangée. En mai -334, les deux armées se rencontrent sur les bords du fleuve Granique. Ne pouvant pas manœuvrer leurs importants contingents, les Perses doivent plier devant la cavalerie macédonienne.

Alexandre conserve dans les territoires conquis l'organisation achéménide et s'appuie sur les élites locales. Toutefois, il confie le commandement politique et militaire à des Macédoniens. Après la défaite du Granique, de nombreuses cités de l'Asie Mineure ouvrent leurs portes. Toutefois, d'autres préfèrent résister. C'est le cas de Milet dont le siège dure une semaine et celui de d'Halicarnasse qui dure une année. D'une manière générale, la prise de possession par Alexandre s'accompagne de l'instauration d'un régime prenant comme exemple la ligue de Corinthe.

Laissant le gros de ses troupes à Halicarnasse, Alexandre envoie un autre corps à Sardes, tandis que lui descend à Gordion. Pendant ce temps, Memnon mène des batailles sur les côtes grecques. Sa mort durant une bataille navale est un grand soulagement pour Alexandre. Il profite de ce répit pour constituer une flotte, afin de mieux protéger la Grèce, tandis qu'avec ses hommes il descend en Phénicie.

En -333, Darius lèvent des troupes dans tout l'empire dont les célèbres archers appelés les Immortels, constituent le fleuron. De même que chez les Grecs, les armées perses sont suivies d'une importante caravane regroupant beaucoup de non combattants. Les deux armées se rencontrent à Issos. Alexandre a choisi un terrain vallonné, afin d'empêcher les Perses de déployer leur cavalerie et leurs chars. Darius et ses hommes pourtant supérieurs en nombre, sont mis en déroute. La défaite de Darius est plus grave sur le plan politique que militaire. Le roi le plus puissant du monde vient de trouver plus fort que lui.

Dorénavant, Alexandre marche sur la Phénicie principale base des perses. La cité de Sidon se rend, mais Tyr résiste. Il entreprend le siège et bouche la baie par ses navires. Les Tyriens se défendent avec acharnement, mais finissent par capituler au bout de six mois. Après la chute de Tyr, les autres cités phéniciennes se rangent au côté d'Alexandre. A l'automne -332, Alexandre fait son entrée en Egypte. Ne rencontrant aucune résistance, il prend possession du pays, avec l'assentiment du peuple. Il fonde la cité d'Alexandrie.


La mainmise sur les grandes capitales
Tirant la leçon d'Issos, Darius choisit la grande plaine de Gaugamèles pour affronter son rival. La bataille a lieu le 1er décembre -331 et se termine par une nouvelle défaite perse. Darius prend de nouveau la fuite. Plutôt que de se lancer à la poursuite de Darius, Alexandre préfère se diriger vers la prestigieuse cité de Babylone dont le satrape lui ouvre les portes. Il prend possession de la Babylonie et y développe la même politique qu’en Egypte, sauf que cette fois il laisse en place les élites locales. A la fin du mois Suse se rend également. Cette cité est importante, car elle constitue le centre commercial de l'empire. De plus elle contient la moitié du trésor royal perse.

Alexandre relève de nouvelles troupes, afin de combler les manques (morts, blessés, troupes laissées en arrière). Elles viennent d'Irak, de Syrie et de Grèce. Après la chaleur épouvantable de l'été irakien, les soldats trouvent le froid de l'hiver des plateaux iraniens. Continuant sa route, Alexandre se dirige vers Persépolis, la capitale. La route principale est parsemée de forteresses. Alexandre préfère les contourner par le Nord. Il doit affronter le peuple des Ouxiens. Il arrive à destination en janvier -330 et la cité ouvrent ses portes. La ville est mise à sac et les Macédoniens s'emparent d'un prodigieux butin. Puis, ils se dirigent vers Pasargades, la deuxième capitale où se trouve le tombeau de Cyrus Ier. Cette fois la ville est préservée. Dans sa politique, Alexandre veut montrer qu'il agit en conformité avec les traditions achéménides, ce qui lui assure le soutien de la noblesse et du peuple.


Le nouveau grand roi
Après la prise de Pasargades, Alexandre se lance à la poursuite de Darius. Il se dirige vers Ecbatane, obligeant son ennemi à fuir de plus en plus vers l'Est. Découragés, de nombreux Perses se rangent aux côtés d'Alexandre. D'autres fomentent un complot contre Darius, dont Bessos est le chef. Ils passent à l'acte en juillet -330 et assassine le grand roi. Cet assassinat est une aubaine politique pour Alexandre, qui peut se présenter dorénavant comme vengeur du Grand Roi. Il se lance à la poursuite de Bessos, qui s'est lui-même proclamé roi. Darius mort, bon nombre de soldats souhaitent rentrer chez eux, mais Alexandre parvient à les convaincre.

Alexandre fait route vers l'Afghanistan. Il rencontre les armées de Barsaentès et de Satibazane, les deux généraux de Bessos. Les troupes traversent le pays en plein hiver. Les vivres manquent et Bessos prend soin de tout détruire sur son passage. Alexandre parvient à rejoindre Bessos sur les bords du fleuve Oxus. Ce dernier n'aura pas le temps de combattre, puisqu'il est trahi à son tour et livré au conquérant.

La pénétration dans l'Est de l'empire perse est très difficile. Durant les années -329 et -328 de nombreuses vagues de révoltes se succèdent. Alexandre doit mener de nombreux sièges de ville pour retrouver la paix. Par ailleurs, il doit faire face aux Scythes, qui craignent pour leur libre circulation. Alexandre envoie un contingent de 3000 hommes pour les vaincre. La technique de guérilla des Scythes vient à bout de ce contingent. De plus, la présence de plus en plus importante d'Iraniens autour d'Alexandre irrite la noblesse macédonienne. Ceux ci craignent que leur chef ne se comporte comme un roi perse. En dépit des critiques, Alexandre continue sa politique de collaboration avec les Perses. Il épouse d'ailleurs la princesse Roxane. Néanmoins, il garde les places les plus importantes pour ses compagnons.


De l'Indus au Golfe Persique
Alexandre désirant se lancer à la conquête de l'Inde autrefois sous domination perse, envoie Héphestion, afin de glaner des informations et de s'assurer des alliés. Pendant ce temps, il se dirige vers l'Himalaya et réduit à néant non sans mal toutes les tribus du Nord de l'Inde. Puis il se dirige vers le sud. Le roi Taxilès l'accueille.

Alexandre doit maintenant affronter le roi Poros, le plus puissant d'Inde. Les deux armées se rencontrent sur les bords de l'Indus. Les chevaux grecs doivent faire face aux éléphants indiens. Après d'âpres combats, Poros se rend. Alexandre lui laisse son royaume en échange de sa soumission, car il sait très bien qu'il n'a pas les moyens de contrôler un tel pays. Fort de ce nouvel allié, il désire passer le Gange et continuer encore plus vers l'Est.

Sentant se développer une sourde opposition dans son armée, Alexandre la réunit pour tenter de remotiver ses soldats. Mais cette fois, tous les soldats macédoniens et grecs désirent rentrer. Le lendemain, Alexandre cède et décide de rebrousser chemin. C'est par voie fluviale qu'il décide de rentrer. L'armée se divise en deux. Hephaistion rentre directement à Babylone par la route de l'aller, et Alexandre descend l'Indus. Il en profite pour soumettre les autres royaumes indiens. La plupart des redditions se font après de violents combats. En janvier -325, il arrive au bord de l'Océan Indien et fonde une seconde Alexandrie.

Après quelques mois de repos, Alexandre décide de séparer son armée en deux. Lui passera par les terres le long des côtes et l'amiral Néarque passera par la mer. Alexandre part le premier, mais la traversé est rendue difficile par le désert et les nombreux ennemis. Néarque part en octobre -325. Il a pour mission de repérer les pays fertiles et les routes commerciales. Les deux corps se rejoignent à l'embouchure de l'Euphrate.


Dernières années, derniers projets
A son retour, Alexandre retrouve un empire désorganisé. Les satrapes qu'il a mis en place, ont soit négligé leur mission, soit ont pris un pouvoir trop démesuré. Alexandre les fait arrêter et exécuter pour l'exemple. Toutefois, il ne semble pas que toutes les élites aient tenté de se soulever. Ils attendaient du roi qu'il réaffirme une politique fondée sur l'entente et la collaboration. Ce qu'il fait en maintenant les traditions perses et en restaurant les grands monuments.

En prolongeant ainsi sa politique de collaboration avec la noblesse iranienne, Alexandre mécontente une bonne part de ses compagnons et de ses soldats. Certains suivent les conseils d'Alexandre comme le satrape de Pasaryade Peukestas, qui adopte la mode, la langue perse et épouse une princesse iranienne.

Quelques semaines après son retour à Babylone, Alexandre décide de renvoyer en Macédoine les vétérans et les blessés. Cela irrite encore plus les soldats qui craignent que leur roi ait décidé de se débarrasser d'eux. Alexandre est obligé de les rassurer. Réconcilier avec son armée, Alexandre prépare une expédition pour l'Egypte, afin d'attaquer Carthage et Rome avant de renter en Grèce. Un autre projet prévu est de contrôler la péninsule arabique pour contrôler les routes commerciales.

Le 3 juin -323 en sortant d'un banquet, Alexandre est prit d'une forte fièvre et agonise pendant quatre jours. Immédiatement après sa mort, la question de l'héritage se pose. N'ayant pas de fils et plus de frère son empire est partagé entre tous ses généraux.





"Ce ne sont pas les fils qui perpétuent la mémoire de leurs pères, mais leurs bonnes actions et bonnes mœurs."
Alexandre le Grand


Source :
texte : BRIANT. Pierre : Alexandre le Grand.
image : intellego.fr ; Civilization IV

(1) quelques précisions dans le premier commentaire.

vendredi 22 octobre 2010

Le Japon classique


L’empire des kamis
Selon le Kojiki, à l’origine du ciel et de la terre, trois divinités donnèrent naissance à sept générations de dieux. Ils créèrent les cieux, les eaux, les îles. A la mort de son épouse, le dieu Izanayi se purifia dans les eaux, ce qui fit apparaître Amateratsu, déesse du soleil, Isukiyomi la lune et Susanoo l’océan.

Durant la période Jomon débutant en -11.000, des peuples habitent sur les îles de Ryukyu et Hokkaido, ceux du Nord provenant de Sibérie et ceux du Sud de Corée. Durant la période Yajoi en -3000, les populations se sédentarisent et cultivent le riz. Les morts son inhumés dans de grandes jarres entourés d’objets familiers, comme cela est la coutume en Chine. Des kamis apparaissent. Ce sont de petits Etats dirigés par un chef civil et religieux. Les luttes provoquent des déplacements vers l’île d’Honshu. Un des clans parvient à prendre l’ascendant sur les autres. Le chef Tenno fait remonter ses origines à la déesse du soleil.

A partir du IIIe siècle av JC, les membres de l’aristocratie se font ériger des tumuli. En même temps, se développe un culte à la riziculture. Sans rituel, ni temple, il est en symbiose avec la nature. Le Shintoïsme découle en partie du culte des forces de la nature. A travers les siècles, il va constituer l’identité et la permanence du peuple japonais. Soumis à ces forces, les Japonais sont conscients de la fragilité des choses. Les kamis sont les esprits invisibles de la nature.

Les divinités font l’objet de cultes d’offrande et de cérémonies dans des sanctuaires et des temples remarquables par la forme de leur toit. Dans les maisons, des autels permettent de s’assurer la bienveillance des kamis.


Une civilisation bouddhique
Au VIe siècle, le bouddhisme pénètre au Japon par la Corée. Après une période de conflits opposant les deux religions, une sorte de syncrétisme s’opère. Le shintoïsme préside à tous les évènements privés ou officiels de la vie. Le bouddhisme définit des rites. Le premier temple est construit à Asuka. Les textes sacrés rédigés en chinois ont permis l’implantation de la culture chinoise au Japon. La première constitution du Japon datant de 604 est rédigée en chinois. Il s’agit d’un code moral et de comportement en privé et en public.

En 710, la cour s’installe à Nara et toutes les grandes familles aristocratiques y font construire des temples. Une importante communauté de moines s’y établit. Le moine Kukai s’était rendu en Chine pour suivre l’enseignement de la « Parole Vraie ». De retour au Japon, il fonde en 816 à Kyoto une secte ésotérique consacrée à l’étude des textes sacrés. A partir du sanskrit, il invente les kana, ces signes à l’origine de l’écriture japonaise.


L’art de la cour
Les aristocrates de l’époque Heian (IX - XIIe) vivent dans un univers harmonieux et sophistiqué. Leur vie est faite de jeux, de parfum, de concours de poésie, de calligraphies, de promenades, de musique. L’époque Heian attache plus de prix à l’esthétique qu’à l’éthique. Les femmes composent des textes, qui constituent les romans fondateurs de la littérature japonaise. Les hommes préfèrent écrire en chinois, qui demeure la langue officielle. A la fin du Xe siècle, Murasahi Shikibu rédige une chronique de la vie et des amours du prince. Très vite, les peintres de l’Edoko, sorte d’Académie, en illustrant les thèmes principaux.

Sous le règne de Go Ichijo, le clan Fujiwara prend de plus en plus d’importance, au point de diriger la cour en la transformant en un culte de la beauté. De nombreux artistes y affluent. L’emaki est un rouleau composé de peintures et de calligraphies et se lit en largeur, de droite à gauche. Le premier date du XIIe siècle et mêle texte et image.

C’est durant cette période qu’apparaissent les premiers jardins dans les palais, conçus comme une recréation de la nature. Le lac aménagé y apparaît comme un élément capital. A l’aide de diverses essences, un paysage à l’aspect aussi naturel que possible est recomposé. Ces jardins sont destinés à être contemplés à partir des terrasses de bois. Le plus vieux traité sur les jardins le Sakutei-ki date du XIIe siècle.

Après une longue période de guerre civiles jusqu’au XVIe siècle, le chef Nobunaga parvient à réinstaurer un pouvoir. C’est le début de la période Momoyama de 1573 à 1615, sorte de renaissance du Japon. Les styles et les décors reviennent à ce qui se faisait à l’époque Heian. Le peintre Sotatsu et le calligraphe Honami Koestu contribuent très largement à cette renaissance. A la même époque, Tona Mistuyoshi crée un nouveau style plus coloré et utilisant des fonds d’or.

Le théâtre No, dont les premières représentations furent données à la cour et dans les temples au XVe siècle, sous l’impulsion de l’acteur Zeami. C’est un théâtre noble et sacré. Le texte psalmodié, mêlé au chant et à des déplacements très lents, constitue une cérémonie tragique. Le No se joue masqué. L’action se situe toujours à la frontière du monde humain et au surnaturel. Il ne contient pas de décor.


La voie des guerriers
A la fin du Xe siècle, le gouvernement central se révèle incapable d’assurer la sécurité à travers le pays. Les riches propriétaires de province mettent sur pied des armées personnelles. Parallèlement, les nobles ont une influence grandissante sur l’empereur. Leur rivalité conduise à donner aux guerriers un statut particulier. Les samouraïs obéissent à un code éthique appelé le bushido, destiné à régler le comportement du guerrier dans les batailles. Il régit les relations entre les membres d’un même groupe et doivent faire don de leur vie pour leur seigneur.

Les invasions mongoles de la fin du XIIIe siècle ont apporté des modifications dans l’armée japonaise en développant l’infanterie et les hallebardes, pour contrer les cavaliers mongols. Le sabre est un objet sacré, dont la lame par sa pureté symbolise l’âme du guerrier. Le katana est le sabre long et seuls les samouraïs ont le droit d’en porter. Ils s’approprient l’arc venu de Mongolie. En 1549, les jésuites portugais introduisent au Japon les armes à feu. Lors de la bataille de Larashimo en 1575, Nobunaga les utilise pour la première fois et remporte la victoire. Il prend le titre de Shogun (chef militaire suprême). Il prend en charge toutes les affaires du gouvernement, tandis que l’empereur conserve son rôle de représentation. L’introduction des armes à feu change aussi l’architecture des châteaux. En 1581, Hideyoshi fait construire le château du héron blanc à cause de ses épais murs blancs. Personne n’osa jamais l’assiéger à cause de son impressionnant dispositif défensif.


La voie du zen
Venu de Chine, le zen se propage au XIIIe siècle. Il se distingue du bouddhisme traditionnel. Il est une voie qui par la méditation et par la concentration de tous les actes de la vie quotidienne conduit à l’illumination. Il faut saisir la vie dans l’instant.

A la fin du XVe siècle, Sesshu se rend en Chine pour perfectionner sa maitrise du pinceau. A son retour, il ouvre un atelier où il enseigne l’art de l’encre aux plus grands artistes de son temps. L’art de la calligraphie est très apprécié par la caste des guerriers. Ils y trouvent une exigence d’être ; d’éveil, une ascèse passant par la maitrise du mental et du comportement.

La cérémonie du thé est introduite au Japon au XIIIe siècle. Il vient de Chine, le premier essai traitant de cette cérémonie est rédigé par le prêtre zen Rinzai. Au XVIe siècle, ce rituel se répand dans toutes les couches de la société cultivée. Le pavillon du thé se trouve situé dans un jardin à l’écart et destiné à la méditation. Les jardins de sable ou de pierre, dits jardins secs, livrent à la méditation des moines la vision d’un vide parcourut de mouvements profonds.


L’époque Edo : la vie est un théâtre
Au XVIIe siècle, les marchands japonais se sont considérablement enrichis. Ils en vinrent à acheter des titres et des demeures, qui font d’eux les égaux des plus puissants, sans qu’il ait le moindre pouvoir politique ou social. Tenus à l’écart de la société féodale, ils en inventèrent une autre où le talent tenait lieu de noblesse et l’esprit de liberté.

Tandis que les artistes des écoles Kano et Tosa poursuivent les décorations fastidieuses des palais, des peintres comme Matabei, s’attachent à représenter les plaisirs de la société (fêtes, villes, jardins). La conscience d’un temps compté et un amour passionné pour les choses les plus simples de la vie inspirent aux artistes le désir de représenter leur propre existence, dont personne ne s’était soucié jusque là. Les artistes réalisent leurs œuvres sur des estampes polychromiques. Le premier artiste fut Moronobu vers 1638. Il illustra un certain nombre de texte célèbres. Néanmoins, nombre d’entre eux poursuivirent la création d’estampes en noir et blanc, tel Sukenobu, spécialisé dans les scènes de la vie quotidienne des femmes et dans les scènes érotiques. Au cours des années 1740-1750, l’estampe en couleur se généralise. L’éditeur Uemura Kichiemeon met au point une méthode d’impression pour toutes les couleurs.

A la fin du XVIe siècle apparaît une nouvelle forme théâtrale, issue des spectacles de danses et de marionnettes. Les pièces évoquent des sujets épiques et des légendes. En 1629, un Edit destiné à lutter contre les mœurs dissolues du monde des acteurs, décrète que tous les rôles seront tenus par des hommes. Ce théâtre constitue une source d’inspiration pour les artistes d’estampe.

A Edo, les artistes vivent dans le quartier Yoshiwara, où ils côtoient les courtisanes. Ce quartier est très surveillé par les autorités. La censure était sévère notamment vis-à-vis des œuvres satiriques. Au XVIIIe siècle, un petit nombre d’artistes et de lettrés se rendent à Nagasaki, où se trouve la colonie néerlandaise, seule présence européenne tolérée par les autorités depuis 1638. Les néerlandais diffusent les travaux scientifiques et les œuvres occidentales. Un certain nombre d’estampes reprirent le thème du livre, de l’écriture, de la lecture et les natures mortes. Les artistes se déplaçaient constamment entre les grandes villes et dans les campagnes à la recherche de paysages. Au début du XIXe siècle, Kuniyoshi recueillit des milliers de croquis témoignant de sa curiosité insatiable pour les plantes, les animaux, les ponts, les lutteurs, les équilibristes, les jeux, les enfants et d’autres sujets, qui forment une sorte d’encyclopédie du Japon ancien.

En 1853, les ports japonais s’ouvrent aux occidentaux et notamment aux navires étatsuniens. Les aspects du monde industriel pénètrent rapidement dans l’archipel. La machine à coudre entraine l’abandon du kimono. La photographie opère une transformation fondamentale en comblant l’obsession de fixer une parcelle du monde éphémère et mouvant. Le cinéma va bientôt s’affirmer comme le véritable art japonais contemporain.


"La vie est une bougie dans le vent."
proverbe japonais

Source :
Texte : DELLAY. Nelly : Le Japon classique
Image : www.linternaute.com

jeudi 21 octobre 2010

La première guerre mondiale


Entrer dans la guerre
En 1914, les Français et les Russes craignent la puissance allemande et les Allemands se sentent encerclés et isolés en dépit de leur alliance avec l’Autriche-Hongrie. Deux organisations se forment : la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) et la Triple Entente (France, Grande Bretagne, Russie). Les tensions sont vives entre la France et l’Allemagne, qui se sont déjà combattues en 1870, puis opposées pour le contrôle du Maroc en 1905. Les puissances européennes se livrent une compétition coloniale, industrielle, commerciale et navale.

La crise des Balkans demeure l’élément déclencheur de la guerre. La Russie s’estime la protectrice des Slaves présents en Serbie. L’Autriche-Hongrie annexe la Bosnie en 1908 et perçoit les Serbes comme une menace. Le 23 juin 1914, l’archiduc François Ferdinand de Habsbourg est assassiné par des nationalistes bosniaques.

Dès la déclaration de guerre, les populations font preuve d’un patriotisme défensif et des cabinets d’union nationale sont formés. L’Allemagne et la France disposent d’une armée de terre équivalente. La Grande Bretagne possède la meilleur marine du monde. La Russie est riche en homme, mais très peu moderne. Les Etats-majors prévoient une guerre courte et rapide, dans laquelle l’infanterie doit jouer un rôle primordial. La tenue des Français bleue et rouge, ainsi que l’absence de casque, montre à quel point on sous estime la puissance de feu.

Joffre est nommé chef des armées française. Il décide par le Plan 27 d’attaquer l’Alsace Lorraine. Côté allemand, Moltke applique le plan Schlieffen, qui consiste à envahir la France par la Belgique. L’armée belge est écrasée et les Allemands descendent vers Paris. Joffre rapatrie ses troupes en toute hâte et remporte la bataille de la Marne. A l’Est, les troupes d’Hindenburg stoppent l’avancée russe à Tannenberg.


Combattre dans une nouvelle guerre
L’impossibilité de vaincre a vite bloqué les armées sur les deux fronts principaux, celui de l’Ouest de la Mer du Nord jusqu’à la Suisse et celui de l’Est de la Baltique jusqu’aux Carpates. La guerre de position révèle la supériorité de la défensive sur l’offensive. A l’Ouest, le front est long de 700 km. Il prend la forme d’un réseau de tranchées et de boyaux. Les tranchées allemandes sont mieux construites et parfois équipées de l’électricité et du chauffage.

En 1915, les Franco-britanniques tentent de percer en Artois et en Champagne sans réel succès. L’année 1916 est marquée par les terribles batailles de la Somme et de Verdun qui s’étend de février à décembre et comptent 500.000 morts tant Français et Allemands. 200.000 britanniques meurent dans la Somme.

L’artillerie est l’arme maîtresse du champ de bataille. Elle est responsable de 70% des blessures de la Grande Guerre. Les mitrailleuses font énormément de ravage, tirant 400 coups minutes. Les gaz employés par les Allemands n’ont eu que très peu d’effet, à cause de la rapidité de confection des masques à gaz. Les gaz jouent sur l’effet de terreur.

Les conditions de vie sur le front sont insoutenables et pourtant les soldats ont tenu grâce au patriotisme et à la haine de l’ennemi. Le soldat défend sa patrie et sa famille. Ils tiennent grâce à la fraternité du groupe, avec lequel on vit, on combat, on meurt. Les loisirs sont présents par les biais du football, du théâtre et de l’écriture. Les organisations humanitaires telles la Croix Rouge ou les Eglises essayent de limiter la brutalité des combats et de venir en aide aux soldats et aux civils.


Les fronts intérieurs
Chaque Etat belligérant tourne toute son économie vers la guerre. L’Allemagne est la première puissance à mettre en place une organisation où les pouvoirs publics et l’armée s’entendent avec les industriels. La plupart des hommes étant au front, il faut remplacer cette force de travail. Les ouvriers les plus qualifiés reviennent travailler dans leur usine, mais ce sont les femmes qui prennent une place massive dans la production. Dans les campagnes, les enfants et les personnes âgées furent obligés de travailler.

Tous les Etats empruntent à l’intérieur et à l’extérieur en particulier auprès des Etats-Unis. L’émission de billet engendre de l’inflation. Les populations souffrent des réquisitions, des pénuries et des rationnements. Dès 1916, la situation devient critique en Allemagne et en Autriche-Hongrie, qui subissent le blocus britannique. L’hiver 1917 est atroce en raison de l’effondrement des récoltes de pomme de terre et il n’est pas rare que l’on meurt de faim. Certes les salaires des ouvriers ont augmenté et en Grande Bretagne le chômage disparaît, mais dans la majorité des pays l’inflation empêche les améliorations financières.

La propagande nie les réalités du front et prétend héroïser les combattants au prix d’une rhétorique guerrière artificielle, perçue comme insupportable par ceux qui connaissent les réalités du front. Les opinions disposent très vite d’une contre information efficace. Les intellectuels et les artistes jouent un rôle dans la production d’image et de discours. La propagande passe par les affiches, les cartes postales, les livres, les journaux, le théâtre, le cinéma et les jouets. Elle héroïse les humbles et les chefs militaires, qui font l’objet d’un véritable culte.

A l’arrière, les habits de deuil deviennent omniprésents. Les catholiques multiplient les dévotions auprès des saints et de la Vierge. Pendant toute la guerre, la société française est traversée d’espérance de type religieux voire mystique. Croire en Dieu et croire en sa patrie devient indissociable. La Grande Guerre est perçue comme une guerre morale pour une civilisation meilleure. La France plus que les autres belligérants se fait l’écho de ce type de représentation à cause de l’invasion de son territoire.


Guerre mondiale et totale
Aux atrocités commises lors des invasions succèdent les occupations. En Belgique et dans le Nord-est de la France, tous les produits sont réquisitionnés par les Allemands et les populations sont contraintes au travail. Dans les villes, on souffre de la faim et du froid sans parler des prises d’otage et des déportations. C’est dans l’Empire Ottoman que les atrocités sur les civils prennent le tour le plus tragique. En Turquie, les musulmans reprochent aux Arméniens chrétiens de comploter avec les Russes. Au moins un milliard d’Arméniens sont tués dans le premier génocide du XXe siècle.

En 1915, les forces de l’Entente tentent de porter la guerre à l’Est dans le détroit des Dardanelles. L’Italie abandonne la Triple Alliance pour se ranger du côté de l’Entente, alors que la Turquie s’engage du côté de l’Autriche-Hongrie. Les Britanniques espèrent s’emparer des détroits, pour rejoindre les Russes. En Avril 1915, soutenus par des corps néo-zélandais et australiens, ils débarquent sur la presqu’île de Gallipoli, mais sont repoussés par les Turcs.

L’année 1916 voit l’arrivée de nouveaux belligérants : Roumanie, Serbie et Portugal du côté de l’Entente, Bulgarie du côté de l’Alliance. La Grèce rejoint l’Entente en 1917. Les colonies françaises et britanniques fournissent des renforts militaires importants : 600.000 hommes pour les colonies françaises, autant de Canadiens, 400.000 Australiens et 200.000 Néo-zélandais et Sud Africains. Si l’Europe affiche un racisme ambigu à l’égard de ceux venant des colonies, celles ci prennent conscience de leur identité et de leurs différences et sauront les affirmer en exigeant la reconnaissance de la citoyenneté. La guerre s’étend en Asie et en Afrique. Le Japon attaque la Chine.

La seule grand bataille navale est celle du Jütland en 1916 et marque la volonté de l’Allemagne d’affaiblir économiquement la France et la Grande Bretagne. Les Allemands lancent en 1917, la guerre sous marine, coulant plus de 600.000 tonnes de marchandises. L’atteinte à la liberté des mers, associée aux menaces que l’Allemagne fait peser sur le Mexique, pousse les Etats-Unis à entrer en guerre le 2 avril 1917 au côté de l’Entente, bientôt suivi par plusieurs pays d’Amérique Latine.


1917, l’année terrible
A partir d’avril 1917, les Etats-Unis déjà impliqué dans le conflit par leurs fournitures et leurs prêts aux puissances de l’Entente, se bat au côté de celle ci au nom de la liberté et d’une conception de la civilisation et de l’humanité. Il fournit un million d’hommes. A la même année, le front de l’Est s’écroule suite à la révolution russe de février. Le gouvernement qui avait décidé de poursuivre la guerre, n’est plus soutenu par la population, ni par les soldats qui désertent en masse. Ces derniers sont mal équipés, mal ravitaillés et subissent d’énormes pertes. Les bolcheviques signent un armistice avec l’Allemagne. La paix de Brest-Litovsk est signée le 3 mars 1918. L’Allemagne peut concentrer tous ses efforts sur le front de l’Ouest.

Les Etat-major de l’Entente préparent de nouvelles offensives, les Français au Chemin des dames, les Britanniques à Ypres en Belgique, mais sans pouvoir changer la situation. Seuls les Austro-hongrois parviennent à briser le front italien à Caporetto. Dans toutes les armées, la guerre d’usure et les attaques meurtrières entraînent des refus d’obéissance et des désertions. L’année 1917 est marquée par des mutineries, qui dénoncent les conditions de vie inhumaines du front et les pertes trop lourdes. Le Général Pétain commandant en chef de l’armée française après l’échec de Nivelle au Chemin des dames, améliore le système des permissions, l’ordinaire des soldats et adopte une stratégie défensive. Le nombre de mutins commence à diminuer avant les exécutions. Sur les 3247 soldats jugés, 554 sont reconnus coupable et seul 49 sont fusillés. Les mutins veulent la paix, mas pas à n’importe quel prix. Les hommes en première ligne ne se révoltent pas et aucun régiment ne se révolte en entier. Les soldats ne désertent pas en masse et continuent de respecter la hiérarchie.

A l’arrière, la montée du pacifisme et les grèves ouvrières montrent la lassitude de la population. La détérioration des conditions économiques pour les ouvriers donne naissance à de vastes mouvements sociaux. Les politiques sont fragilisés. La France connaît quatre changements de premier ministre avant l’arrivée de Clemenceau. En Allemagne, le gouvernement doit faire face au Parlement de plus en plus pacifiste. En Grande Bretagne Lloyd George doit composer son équipe avec des travaillistes.


Vaincre ou être vaincu
En 1918, le général Ludendorff s’appuie sur les troupes d’élite pour percer le front et semer la terreur derrière les lignes ennemies. Ainsi, les Allemands s’enfoncent en Picardie, en Champagne et dans les Flandres. Le général Foch parvient à les stopper sur les rives de la Marne. Les forces de l’Entente disposent d’une meilleure armée en raison des avions et des chars d’assaut, qui permettent de protéger l’infanterie. De plus, les Allemands deviennent inférieurs en nombre avec l’arrivée des Etats-uniens.

En septembre 1918, les Britanniques battent les Ottomans et les Français les Bulgares. Les Italiens infligent des défaites à l’Autriche-Hongrie. Les Habsbourg quittent le pouvoir en demandant l’armistice. L’Empire explose sous le poids des nationalismes. En Allemagne, Ludendorff préconise l’armistice signé le 11 novembre à Rethondes. Pour les Allemands, la défaite est incompréhensible, car son territoire n’a pas été envahi et que son armée occupe la Belgique et le Nord-est de la France. La révolution de novembre amène la proclamation de la République.

La conférence de Versailles de 1919 a pour but de sanctionner les vaincus et de réorganiser la paix pour le futur. La conférence est dirigée par Wilson pour les Etats-Unis, Clemenceau pour la France, Lloyd Georges pour la Grande Bretagne et Vittorio Orlando pour l’Italie. Si la SDN est créée, la France entend faire plier l’Allemagne et la Grande Bretagne cherche à protéger ses colonies. Les quatre empires (allemand, ottoman, russe, et austro-hongrois) disparaissent et sont remplacés par de nouveaux Etats fragiles et mal constitués. L’Allemagne doit démobiliser son armée, ses colonies lui sont retirées, la rive gauche du Rhin cœur industriel du pays est occupé, doit verser de l’argent à la France et à la Grande Bretagne. Ces conditions sont jugées inadmissibles par les Allemands. Par ailleurs, l’Italie s’estime laissée, car elle n’a pas pu récupérer les terres irrédentes de l’Istrie et du port de Fourme.


Se souvenir
Entre 9 et 10 millions de morts, trois fois plus de blessés dont 8 millions d’infirmes, mutilés, aveugles, sans parler de ceux ayant perdu la raison. La guerre a touché toutes les catégories sociales, car les sous officiers et les officiers ont été autant en première ligne que leurs soldats. La France est le pays qui a subi le plus de dégâts, d’où le sentiment de crainte face à une Allemagne restée intacte.

Les Etats-Unis est devenu le grand bailleur de fonds mondial. L’Europe est dépassée par les pays neufs. Le champ politique est méconnaissable avec l’émergence du communisme et du fascisme. Les formes de la guerre ont été radicalement modernisées. Tous les belligérants ont énormément souffert, mais l’intransigeance des vainqueurs et l’amertume des vaincus aboutiront à un désastre politique et culturel, dont découle la Seconde Guerre Mondiale. La Première Guerre Mondiale en ébranlant le monde a précipité dans un sens tragique tout le destin du XXe siècle.


"Sur cette ligne de front, le destin des peuples était jeté dans la balance. Il s'agissait ici de l'avenir du monde."
Ernst Jünger


Source :
Texte : AUDOIN-ROUZEAU. Stéphane : La Grande Guerre
Image : http://www.witzgilles.com

mercredi 20 octobre 2010

Venise


L’irrésistible ascension
En 810, l’installation du doge Angelo Participario sur le Rivoalto, sur le delta du Pô apparaît comme l’évènement fondateur de Venise. Quinze ans plus tard, deux marchands y entreposent les reliques de Saint Marc, probablement dérobées à Alexandrie.

Venise se lance dès le IXe siècle dans le commerce avec l’Orient et se substitue peu à peu aux Byzantins. Le Basileus a besoin d’eux, de leur navire pour s’opposer aux ambitions des Normands. En 1082, ce dernier accorde à Venise le chrysobulle délivrant des exemptions de taxe et des droits de douane dans tout l’Empire. Ce type de traité est renouvelé avec l’Empereur des Francs et le roi d’Afrique du Nord. Il faut ménager ses privilèges économiques. Vis-à-vis de ses concurrents, Venise se montre brutale : pillages, destructions, expéditions punitives. La cité s’étend sur la vallée du Pô, puis mate les pirates sévissant sur les côtes de Dalmatie.

Craignant pour leur influence à Byzance et au Moyen-Orient, Venise s’engage dans la Première Croisade en armant une flotte et en participant au siège de Haïfa. En 1100, les Vénitiens s’emparent des reliques de Saint Nicolas à Rhodes. En 1123, la cité aide Jaffa contre le sultan d’Egypte. L’avancée des croisés permet aux Vénitiens de créer des comptoirs commerciaux sur les côtes de Méditerranée. Lors de la Quatrième Croisade, Venise, désirant se venger de Byzance qui lui a retiré tous ses privilèges et menace ses comptoirs, détourne les Croisés qui pillent Constantinople en 1204. Le doge s’empare d’un grand nombre de site dans la Mer Egée et Ionienne.

Gênes est la plus grande rivale de Venise. La cité assure son pouvoir sur une partie de la Provence et de la Toscane. Sur la Mer Egée, elle étend ses comptoirs lors des croisades. Une série de guerre éclatent, opposant Venise et Gênes. La dernière, connue sous le nom de Chioggia s’achève par le traité de Turin en 1381. Gênes doit sa défaite aux problèmes internes dues à la lutte entre les grandes familles.

Au XVe siècle, l’Etat de Venise comprend la cité mère et les villages de la lagune, les Provinces du Nord, le Frioul et la vallée du Pô. A cela s’ajoutent toutes les colonies et les comptoirs présent sur toutes les côtes de l’actuelle Slovénie jusqu’à Chypre.


L’âge d’or des galères
Les galères de Venise sont les plus belles et les meilleures de la mer. Une supériorité technique qui tient à la qualité des bois choisis, à la rigueur des méthodes de construction et à l’habileté des ouvriers employés dans les arsenaux.

C’est Venise qui met au point la galère au début du XIVe siècle, un vaisseau plus gros et plus maniable. Les capitaines louent leur bateau à prix d’or. Les galées perdurent jusqu’au XVIe siècle, au profit des galions. Cependant, la perte de puissance de Venise vient du fait que les grandes puissances européennes se dotent de marine et commencent à sillonner les mers, ne passant plus par l’intermédiaire vénitien. Les galées sont alors reconvertis en vaisseau de guerre et prennent le nom de galéasse.

Il faut 200 hommes pour diriger et propulser. Les officiers de marine sont toujours choisis parmi les 150 familles inscrites sur le livre d’or de la cité. Les jeunes nobles sont navigateur et ont suivi une initiation à la mer, au commerce et aux armes. Les capitaines doivent enrôler et payer leur équipage. L’Etat ne s’occupe que d’entretenir le navire.

La conduite du navire appartient au comite assisté par un sous comite et des officiers de pont. Un charpentier, un calfat, un remolat (construit et répare les rames), un tonnelier, un aumônier, et un barbier viennent s’ajouter aux rameurs. Ces derniers sont tous des homes libres jusqu’au XVIe siècle. Tant que l’esprit communal mobilise les énergies populaires pour la défense de la cité, le peuple fournit les Galeotti nécessaires. En temps de guerre, la cité recourt aux services militaires. L’essor de l’artisanat et des industries de luxe compense le déclin maritime du XVIe siècle. Le mieux vivre n’incite guère le peuple à supporter d’être Galeotti. Seuls les plus pauvres continuent de s’engager. Il faut dire que les conditions de travail des Galeotti n’ont cessé de se dégrader depuis la fin du XIVe siècle. Leurs prédécesseurs formaient une milice sorte de citoyens soldats défendant le navire et la patrie. Par la suite avec l’arrivée des canons, la guerre devient affaire de professionnel. Le Sénat se méfie de ces mercenaires qui coutent chers et qui sont peu fiables.


La Sérénissime République
Le système de gouvernement de Venise, relativement original pour l'époque, était la République. Mais une république oligarchique, comme Florence. Les grandes familles de la ville, représentées au Grand Conseil, élisent le Doge, qui conduit la politique sa vie durant. Les Vénitiens ont élaboré au cours des siècles une organisation institutionnelle originale et très complexe visant, d'une part à concentrer les pouvoirs entre un nombre restreint de familles patriciennes, d'autre part à éviter toute évolution vers un système de type monarchique, malgré la prééminence d'un personnage, le Doge, qui symbolisait le pouvoir de l'État.

Le chef de l'exécutif portait le titre de doge. Il était théoriquement élu à vie. Le caractère viager devait se perpétuer sans changement au cours des siècles, alors que le doge perdait peu à peu tout pouvoir personnel. La fonction de doge était dévolue à un membre d'une famille patricienne choisie dans un cercle restreint, mais la transmission n'en devint jamais héréditaire malgré les tentatives de quelques-uns. Ces tentatives aboutirent d'ailleurs à faire évoluer le mode de désignation du doge de manière à exclure toute possibilité de transmission héréditaire ou d'accaparement par des factions. Par la suite, les doges démissionnèrent assez souvent pour se retirer dans une vie monastique, sous la pression des oligarques, quand ils étaient discrédités par leur action politique.

Le Grand Conseil se substitue à l'assemblée populaire appelée arengo. De lui émanent toutes les autres institutions : leur multiplication et l'enchevêtrement des compétences favorisent la collégialité des décisions, mais aussi la surveillance réciproque. Il est composé des membres des familles inscrites au Patriarcat. Tous les hommes de plus de 25 ans peuvent y participer, à condition cependant de ne pas avoir épousé de roturière. L'aristocratie vénitienne se compose surtout d'armateurs, de négociants et de banquiers, dont les revenus se fondent plus sur le commerce que sur la terre. Par la Serrata del Consiglio en 1297, l'accès au Grand Conseil fut restreint à ceux dont les ancêtres en avaient été membres. L'insertion au sein du patriciat vénitien est donc de droit fermé. Réuni tous les dimanches, le Grand Conseil prend les décisions politiques, promulgue les lois et choisit les hauts magistrats. La tendance à déléguer les pouvoirs d'un corps nombreux à une commission restreinte de spécialistes fut une caractéristique durable de l'organisation de cette république oligarchique.


Le dimanche de Lépante
Avec la chute de Byzance en 1453, Venise entre en conflit avec l’Empire ottoman. En aout 1503, après le désastre subi près de Zonchio en Mer Ionienne, la République signe une paix avec le Sultan. Venise reconnaît la perte de la plupart de ses possessions en Grèce et en Albanie. Une nouvelle défaite en 1540, alors qu’elle était pourtant alliée aux Génois et aux Espagnols, leur coute 300.000 ducats et l’abandon des colonies égéennes. De plus, elle doit verser un tribut à Constantinople. En 1570, Selim II fait saisir tous les navires vénitiens présents dans le Bosphore en représailles des corsaires chrétiens présents à Chypre, possession vénitienne.

A partir du XVIe siècle, l’Espagne a étendu sa domination sur toute l’Italie. A la cour de Philippe II, on n’apprécie guère les Vénitiens, considérés comme des profiteurs. Aussi l’Espagne retarde au maximum la création de la Sainte Ligue contre les Turcs, voulue par Pie V et le Doge. Elle n’est créée que le 19 mai 1571. Une flotte est constituée sous le commandement de l’Espagnol Don Juan d’Autriche, demi frère du roi, tandis que l’escadre vénitienne est dirigée par Sebiastiani Veniero âgé de 70 ans.

A l’aube du 7 octobre 1571, la flotte de la Sainte Ligue composée à cinquante pour cent de navires vénitiens, atteint l’entrée du golfe de Patras près de Lépante où mouille la flotte turque. La bataille fait rage toute la journée et se solde par une victoire des chrétiens. Venise comme tout l’Occident, célèbre en grande pompe cette victoire contre les infidèles, mais la flotte ottomane est vite reconstituée et Venise ne peut récupérer ses comptoirs et encore moins Chypre perdue quelques temps avant Lépante.


Un inexorable déclin
A la fin du XVIe siècle, l’aristocratie marchande concurrencée par les Ottomans, les Anglais et les Français diversifient leurs investissements, en délaissant les objectifs maritimes traditionnels pour ceux de la terre. La noblesse s’intéresse à la plaine du Pô et entreprend une politique de bonification et d’investissements fonciers.

Venise compense les lourds déséquilibres financiers et les pertes démographiques dues aux guerres, par le renforcement de sa puissance industrielle. La construction navale stagne et plus l’Arsenal perd de son importance, plus la République augmente ses dépenses pour décorer son fameux chantier. Le palais des Doges et tous les lieux officiels sont ornés de statues et de peintures rappelant la grandeur maritime d’autrefois.

En 1606, Paul V excommunie le doge Leonardo Dona et une coalition (Papauté, Savoie, Milan, Autriche et Espagne) se forme contre la République, qui reçoit l’appui de l’Angleterre et de la France. Le conflit s’achève en 1617 par la paix de Madrid. Lors de la Guerre de Trente Ans, Venise reste neutre. En 1646, les Ottomans débarquent en Crète, dernière possession vénitienne. A elle seule, avec l’aide des Chevaliers de l’Ordre de Malte, elle libère l’île. S’ensuit une guerre de dix ans dans laquelle, la Sérénissime dépense 130.000 ducats et perd un grand nombre d’hommes et la Crète. Pour remplir les caisses de l’Etat, le gouvernement vend des titres de noblesse aux plus riches familles de parvenus.

En 1684, Venise rejoint la Ligue contre les Turcs avec le Pape, l’Autriche et la Pologne. Le commandement de la flotte vénitienne est confié à Francesco Morosini, déjà chef lors des batailles en Crète. Il conquiert le Péloponnèse. Le 29 septembre 1687, il se vante d’avoir fait exploser la poudrière turque cachée dans le Parthénon. En 1692, il est élu doge. La paix de Karlowitz en 1699 entérine les nouvelles possessions vénitiennes. Ces dernières sont toutes perdues en 1714 au profit des Turcs.

Cette fois, Venise ne peut compter sur l’Autriche qui préfère affaiblir le concurrent du port de Trieste. Au XVIIIe siècle, Venise demeure neutre politiquement. La République rechigne à s’adapter aux nouvelles idées se répandant en Europe et se crispe sur ses traditions conservatrices. A partir de 1718, l’arsenal ne produit plus qu’un navire par an. La flotte de guerre n’étant plus d’aucune utilité, la République préfère équiper des navires marchands. En 1797, Napoléon Ier entre dans Venise et force le doge ainsi que le Grand Conseil à renoncer à leur mandat. Venise n’est plus qu’une simple ville de l’Empire français puis de l’Italie contemporaine.



"Ce jour là, que j'entrai à Venise, je fus bien émerveillé de voir tant de clochers et de monastères et si grand maisonnement, et tout en l'eau et le peuple n'avoir autre forme d'aller qu'en ces barques."
Philippe de Commynes


Source :
Texte : ZYSBERG. André : Venise et la mer.
Image : leseaux-et-les hommes.eu

mardi 19 octobre 2010

François Mitterrand


De Jarnac au gouvernement
François Mitterrand naît le 26 octobre 1916 à Jarnac en Charente. Son père, Joseph dirige une distillerie de Cognac. C’est un homme de caractère, catholique et conservateur. Sa mère, Yvonne d’origine lorraine, est intelligente, pieuse et cultivée. François est le cinquième enfant des huit du couple. De son enfance, il garde un amour pour la nature et le monde rural, ainsi qu’une passion pour la lecture.

Après son bac, ses parents l’envoient étudier à Paris. En 1934, il s’inscrit à Science-Po, où perce déjà son éloquence. En poursuivant ses études de droit, il s’engage un moment chez les Volontaires Nationaux du colonel La Rocque, fervent catholique, nationaliste et anti allemand. Mitterrand travaille pour le journal conservateur, l’Echo de Paris. En janvier 1938, il tombe amoureux de Catherine Langeais.

Appelé sous les drapeaux, il est envoyé sur la Ligne Maginot, près de Sedan. Le 14 juin 1940, il est blessé par un éclat d’obus, puis se retrouve prisonnier et est envoyé en Allemagne. Après deux tentatives échouées, il parvient enfin à s’évader en décembre 1941 et rejoint la zone libre. Après s’être reposé, il se rend à Vichy et est engagé comme contractuel à la documentation des légions et des anciens combattants, dirigée par Maurice Pinot. A partir de l’été 1942, il entre en contact avec certains groupes de résistant et se rapproche du général Giraud. En 1943, il crée avec des amis son propre réseau Pin-Mit, tout en continuant de travailler à Vichy. En novembre, il s’enfuit à Londres et se met au service du Bureau central de renseignement et d’action (DCRA).

Le 5 décembre, il rencontre De Gaulle à Alger. Les deux hommes ne s’entendent pas et l’entretien est court. En février 1944, il retourne en France et aide à la fusion des réseaux de résistance. Après le débarquement, il est choisi par De Gaulle pour assurer l’intérim du ministère des prisonniers. Il est remplacé par Henri Frenay.

Après avoir épousé Danielle Gouze, il écrit pour le journal Libres et suit le procès de Pétain. En 1946, il se présente pour la première fois à une élection en tant que radical de droite, mais il échoue. Il rejoint l’Union démocratique et sociale de la résistance (UDSR) et est élu député dans la Nièvre en 1947.


Un Rastignac républicain
Sous la IVe République, il est onze fois ministre des anciens combattants, puis de l’information, où il lui faut arrêter un statut pour la nouvelle Agence France Presse. En 1950, il est nommé ministre de l’Outre-Mer. Il est résolu à corriger la façon dont sont traités les peuples colonisés, à mettre fin à ce qui persiste encore de la force et la privatisation des droits civiques et politiques. Il entend mettre en place un colonialisme équitable en abattant les privilèges des colons. Sa politique est critiquée par la droite et les communistes. Réélu député en 1951, il entend s’enraciner dans le département. Il crée des réseaux de clientèle et devient maire de Clamecy.

François Mitterrand démissionne du gouvernement après la crise tunisienne et devient le chef de l’UDSR au détriment de Pleven. Il y revient en 1954 sous Mendes-France en tant que ministre de l’Intérieur, ce qui le met en première ligne pour la question algérienne. Lors du remaniement ministériel, il se retrouve à la Justice.

En mai 1958, Mitterrand vote non au retour de De Gaulle avec les pleins pouvoirs et rejoint les partis de gauche. La même année, il n’est plus député, mais est élu maire de Château-Chinon. Il retrouve son siège en 1962. Il s’oppose à l’élection du Président au suffrage universel, tout en reconnaissant que la IVe République a besoin de stabilité. Il compare la Ve à une dictature. En 1965, il regroupe tous les petits partis de gauche au sein de la Convention des Institutions Républicaine (CIR) et se présente au présidentielle. Il est battu par Charles de Gaulle au second tour.


La longue marche du leader de la gauche
François Mitterrand poursuit l’union de toute la gauche, y compris du Parti Communiste (PCF), avec un programme commun et des accords électoraux. Néanmoins, cette stratégie se heurte à des résistances politiques, syndicales, idéologiques et intellectuelles, alors qu’aux yeux des Français, il incarne une alternative sérieuse à la droite. Il sait qu’il peut compter sur un petit groupe d’amis : Roland Dumas, George Dayan, Edith Cresson et son frère Robert, et sur un réseau de fidélité patiemment construit.

En 1966, Mitterrand signe des accords avec les socialistes et la gauche possède plus de députés qu’auparavant. Battu au referendum de 1969, De Gaulle se retire. Mitterrand ne se juge pas assez prêt et ne disposant pas d’un parti fort, ne se présente pas aux présidentielles. Il en profite pour publier un livre s’intitulant Vérité sur un ton très personnel. Il applique sans relâche son principe : s’expliquer, parler, convaincre. Il entre au Parti Socialiste (PS) et s’allie avec Pierre Mauroy et Jean Pierre Chevènement. Le 16 juin 1969 au congrès d’Epinay, il prend la tête du parti.

Préparant les législatives de 1973, Mitterrand parcourt le pays, recrute de nombreuses personnalités politiques, économiques et intellectuelles. Il charge Chevènement de rédiger le programme, pendant que lui rencontre les leaders socialistes étrangers. La rose devient l’emblème du parti. Il passe de nouveaux accords avec le PCF.

Mitterrand échoue une nouvelle fois aux présidentielles de 1974 face à Valéry Giscard d’Estaing. Il continue son travail de rassemblement des mouvances et partis de gauche et en évinçant ses adversaires politiques comme Michel Rocard. Au congrès de Metz du 8 avril 1979, les militants du parti continuent de le soutenir. Mitterrand choisit Lionel Jospin comme bras droit. Pendant des années, il continue d’œuvrer dans le sens de l’union, mais le rapprochement avec les communistes est compromis par les évènements internationaux. Après 23 ans, le désir d’alternance, capté et exploité par Mitterrand est trop fort. Le 10 mai 1981, il est élu président face à Giscard d’Estaing.


Mitterrand président !
François Mitterrand a à cœur de réformer vite. Il presse ses ministres à agir. Après deux mois, il nationalise de nombreuses entreprises et banques, puis ce sont les lois Delerre sur la décentralisation, la retraite à 60 ans, ainsi que l’abolition de la peine de mort. Une vaste politique culturelle est lancée par le biais du Louvre. Cependant, l’économie ne suit pas. La croissance ne s’est pas remise des chocs pétroliers. Les déficits et l’inflation croît. A cette époque, il apprend qu’il est atteint d’un cancer de la prostate incurable. Il ordonne le plus grand secret sur cette affaire.

L’état de grâce ne dure pas. Une politique de rigueur économique est rendue nécessaire et les salaires sont gelés. En 1984, Pierre Mauroy est remplacé par Laurent Fabius en tant que Premier Ministre. Les communistes quittent le gouvernement. La côte de popularité faiblit, entaché par l’affaire du sang contaminé et du Rainbow Warrior. Mitterrand doit convaincre les Etats-Unis et la Grande Bretagne qu’il ne fait pas le jeu de l’Union Soviétique. En même temps, il se rapproche de l’Allemagne et de son chancelier Helmut Kohl. Au Proche-Orient, il caresse le rêve d’une paix entre Israël et la Palestine. Il est critiqué par les Arabes, lorsqu’il se rend à Jérusalem, puis par Menahem Begin le premier ministre israélien, quand Mitterrand préconise un Etat Palestinien. Vis à vis de l’étranger, Mitterrand mène une politique proche de celle de De Gaulle. Il se soucie de son rang et de l’indépendance de la France face aux deux blocs.

Le 30 mars 1986, la gauche est battue aux législatives. Mitterrand choisit Jacques Chirac comme premier ministre. Une lutte s’engage entre les deux hommes, qui ont des visions différentes sur la politique à mener. En 1988, il est réélu face à Chirac.


Second septennat
Mitterrand nomme Rocard au poste de premier ministre, malgré les nombreux différents qui les opposent. Jospin devient ministre de l’éducation. Mitterrand souhaite que Fabius lui succède à la tête du PS, mais les militants choisissent Mauroy. Mitterrand ne le souhaite pas et fait tout pour le contrer. Rocard s’oppose au président et la rupture est consommée entre les deux hommes.

François Mitterrand a toujours trouvé légitime l’aspiration du peuple allemand à la réunification, mais il se soucie de son bon déroulement et de ses conséquences. En échange Helmut Kohl accepte de participer à la conférence en vue de créer la monnaie unique et de lancer un projet d’union politique. Mitterrand ordonne à Jacques Delors de participer à la rédaction du Traité de Maastricht de 1992.

Le 2 août 1990, il soutient le vote du Conseil de Sécurité de l’ONU et ordonne le retrait des troupes irakiennes du Koweït. Au delà du droit international, il espère que cet engagement renforcera le poids de la France dans le nouvel ordre international et la capacité à peser sur les règlements des autres problèmes au Proche Orient. La France envoie lors de la Première Guerre du Golfe, 12.000 hommes et 50 avions. En Europe, Mitterrand est attaché à la fédération yougoslave, dont il craint la désintégration. Il espère une solution pacifique et démocratique. Il préfère laisser passer pour ne pas froisser l’Allemagne, alors que le processus de construction européenne est relancé.

En mai 1991, il renvoie Rocard et le remplace par Cresson. Les discours du nouveau premier ministre est une déception. Les ténors du PS n’acceptent pas son autorité. Ses déclarations choquent. Les médias ne laissent rien passer et le machisme s’en mêle. Contraint, il la remplace par Pierre Bérégovoy. Les élections législatives de 1993, voient la victoire de la droite et l’arrivée d’Edouard Balladur aux affaires. Leurs rapports sont courtois, mais distants. François Grossoure, vieux compagnons de François Mitterrand, devenu amer par la polémique sur les écoutes téléphoniques, publie un livre sur la jeunesse du Président et sur son passage à Vichy.

En 1994 sur la question du Rwanda, il décide d’aider l’armée rwandaise à tenir la frontière sur l’Ouganda contre le Front Patriotique du Rwanda et oblige le gouvernement à partager le pouvoir avec les Tutsis. La politique française ne fait que des mécontents et seul l’ONU est en mesure d’intervenir.

A la fin de son second septennat, chacun se demande si le président pourra terminer son mandat. Le beau jeune homme brun est devenu un vieillard au visage épuré, mais il garde son esprit de conversation incomparable. En 1991, il inaugure la Bibliothèque Nationale de France (BNF). La presse révèle l’identité de sa fille, Mazarine. François Mitterrand ne se représentera pas.


Et après
Après avoir remis les clés de l’Elysée à Jacques Chirac, François Mitterrand se retire dans un appartement du VIIe arrondissement de Paris. Luttant contre la maladie, il lit, reçoit, travaille et se promène souvent sur le Champ de Mars. Il voyage encore un peu à l’étranger et notamment en Egypte. Il a une passion pour les pharaons. Il meurt le 8 janvier 1996 à l’âge de 79 ans et repose à Jarnac dans le caveau familial.



"L'homme politique s'exprime d'abord par ses actes ; c'est d'eux dont il est comptable ; discours et écrits ne sont que des pièces d'appui au service de son œuvre d'action."
François Mitterrand


Source :
Texte : VEDRINE. Hubert : François Mitterrand
Image : http://www.lasauque.com

lundi 18 octobre 2010

Catherine II

Vive l’adorable Catherine
Catherine II est née dans la petite principauté allemande d’Anhalt-Zerbst, sous le prénom de Sophie. Catherine grandit dans un milieu modeste, mais cultivé. La cour de son père est fortement influencée par la culture française. Elle lit les philosophes des Lumières. En 1744, à l’âge de 15 ans, elle se rend en Russie pour épouser Pierre III.

Les années 1744-1762 sont pénibles pour Catherine. Pierre est un piètre mari et menace plusieurs fois de la répudier pour ses mœurs dissolubles. De plus, la position de la princesse allemande à la cour est marginale. Pour renforcer sa position, elle se convertit à l’orthodoxie et apprend la langue et la littérature russe.

Tous les contemporains reconnaissent en Catherine une femme hors du commun, une grande intelligence, un don naturel pour l’administration, un sens pratique remarquable et une volonté de fer. Elle sait habilement dissimuler ses opinions et utiliser la propagande. Cependant, elle est souvent cruelle, égoïste et très ambitieuse. Elle ne reconnait aucune valeur en dehors d’elle-même et de ses désirs, auxquels rien ne doit résister. Son caractère est renforcé par le costume masculin, qu’elle porte régulièrement.

Ses affaires de cœur reflètent sa personnalité : possessive, insatiable, résolue et une sentimentalité froide et incapable. Catherine a vingt et un amants connus. On compte Grégoire Orlov un officier de la garde, qui l’aide à monter sur le trône.


La Commission législative
A l’été 1762 avec l’aide de nobles de la cour dévoués à sa cause, elle fait arrêter son mari, l’exécute et s’empare du pouvoir. Ensuite, elle épouse secrètement le prince Grigori Potemkine. Les hommes d’Etat les plus âgés se méfient d’elle. Un nouveau coup d’Etat peut de nouveau se fomenter et placer son fils Paul sur le trône. En 1764, Catherine sécularise les domaines de l’Eglise. Cette réforme provoque une violente protestation du métropolite de Rostov. Ce dernier excommunie tous ceux qui sont mêlés à cette mesure.

Peu à peu, Catherine consolide sa position. Elle distribue les honneurs et les récompenses à la noblesse. Elle voyage beaucoup à travers son pays. Le choix judicieux de ses ministres permet de mettre en place une bonne politique. Du coup, le souvenir de 1762 s’estompe peu à peu.

En 1766, Catherine confie à la Commission un travail de rédaction de lois, visant à la rationalisation et à la modernisation du droit et des mœurs. Ce texte nommé Instruction, s’inspire de la philosophie des Lumières et notamment de L’Esprit des lois de Montesquieu. Catherine reste persuadée que l’autocratie est la seule forme de gouvernement capable de maintenir la cohésion de l’immense Russie. Même si elle exhorte les seigneurs à traiter avec moins de rigueur leurs paysans, elle ne condamne pas pour autant le servage.

La Commission législative se réunit en 1767 et comprend 564 députés. Les députés nommés représentent l’Etat, les élus représentent les provinces et les minorités ethniques. Elle siège pendant un an et demi et aborde tous les problèmes de société. Cependant, rien de concret n’en sort. Les membres de la noblesse s’opposent aux représentants des marchands et des paysans. Catherine profite du début de la guerre contre la Turquie pour dissoudre la Commission.


La révolte de Pougatchev
Simple cosaque du Don, Emilian Pougatchev a pris part à plusieurs guerres, puis déserté. Il utilise les griefs des cosaques de l’Oural pour les soulever contre l’impératrice à l’automne 1773. Bientôt le mouvement s’étend le long de l’Oural et de la Volga. La révolte gagne des villes importantes comme Kazan et menace Moscou. La révolte des cosaques purement locale se transforme en une révolte de masse. Les serfs, les ouvriers des mines et des ateliers et les minorités religieuses et ethniques se joignent aux mouvements.

Pougatchev choisit de se faire passer pour le nouvel empereur, prétendant qu’il avait réussi à échapper au complot de Catherine. Il crée une cour, proclame l’abolition du servage, des impôts et du service militaire pour le peuple. Il nomme de nouveaux fonctionnaires. En 1774, Catherine II rassemble des troupes et défait l’armée de Pougatchev. Ce dernier est livré par ses hommes aux forces gouvernementales. Il est amené à Moscou, jugé et exécuté.

Catherine II a scellé son alliance avec la noblesse au moment du coup d’Etat et il est très peu probable, qu’elle n’ait jamais eu sérieusement l’intention d’agir contre les intérêts des propriétaires fonciers. Pourtant, elle est trop intelligente pour devenir une réactionnaire pure et simple. Elle a l’intention de combiner la répression et la contrainte, avec une pincée de réforme et un grand flot de propagande.




Les réformes, la noblesse et les serfs
Les nouvelles structures de l’administration locale, instituées par Catherine II en 1775, sont liées à la révolte de Pougatchev. Elle désire renforcer l’administration provinciale par la décentralisation, une répartition explicite des pouvoirs et des fonctions et la participation de la noblesse locale. Elle réduit la taille des circonscriptions administratives. Le nouveau tracé ignore les réalités historiques ou régionales. Elle s’efforce de séparer les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires. La noblesse est invitée à prendre part à l’administration locale et à soutenir la nouvelle organisation.

Catherine II autorise la noblesse à se regrouper en sociétés, qui permettent la rédaction d’une charte de la noblesse en 1785. La noblesse d’une province a le droit d’adresser en corps constitué, ses pétitions directement au monarque, ce que le peuple n’a pas le droit de faire. Ses membres sont exemptés d’impôts et dispensés de l’obligation de servir l’Etat. Seul un tribunal peut leur ôter leur dignité de noble, leurs biens, ou la vie. En 1785, l’impératrice octroie une charte urbaine qui permet la formation de municipalités aux pouvoirs limités et contrôlées par les riches marchands.

Améliorer la condition de la noblesse, revient à renforcer le servage. Le gouvernement l’impose en Ukraine. Une série de lois, de nature fiscale, promulguées entre 1763 et 1783, interdit aux paysans ukrainiens de quitter un domaine sans l’autorisation du propriétaire. Le nombre de paysans serfs est estimé à plus d’un million pour son règne et ils constituent 49% de la population. Il leur est interdit sous peine de punitions sévères, d’adresser des pétitions à l’impératrice ou au gouvernement pour obtenir justice contre leur propriétaire. Catherine II renforce son emprise sur les Cosaques.

Sur le plan économique, l’impératrice délaisse le mercantilisme jugé trop rigide, pour la libre entreprise et le libre commerce. Dans le domaine de la culture, elle met les bouchées doubles. Elle est l’amie des philosophes, correspond avec Voltaire, reçoit Diderot. Elle écrit et critique les œuvres littéraires. Elle considère que l’essentiel de sa mission est de civiliser la Russie. En 1763, elle institue un collège de Médecine, fonde des hôpitaux, mène la lutte contre les maladies contagieuses. A terme, la Russie doit produire elle-même les médicaments.


La politique étrangère de Catherine II
Fort de ses généraux, Catherine II remporte victoire sur victoire. La Russie s’élargit et devient une puissance de premier plan en Europe. Le général Panine préconise une alliance unissant tous les états du Nord de l’Europe, pour contrebalancer la puissance de l’Autriche, de la France et de l’Espagne. Cependant, la Russie est confrontée à deux autres problèmes : la Turquie et la Pologne. Catherine II a les mains libres pour agir. La Grande Bretagne est occupée par ses colonies et la France prise dans la tourmente révolutionnaire.

La guerre contre la Turquie a pour but d’atteindre la Mer Noire et de recouvrer les terres fertiles du sud de l’Ukraine. La première guerre débute en 1768 et se déroule à la fois sur terre et sur mer. Le corps de Rouliantsev pénètre dans les Balkans et compte sur le support des chrétiens contre les musulmans. Un deuxième corps envahit la Crimée. La flotte d’Alexis Orlov combat les Turcs dans la baie de Tchermé le 6 juillet 1770. Au terme du traité de Kutchuk-Kaïnardji, la Russie obtient des points stratégiques en Crimée, ainsi qu’une partie du littoral de la Mer Noire. Les navires obtiennent le droit de libre navigation dans les eaux turques.

Catherine II désire expulser les Ottomans de Grèce et rétablir un grand empire chrétien, dont Constantinople serait le centre. Elle réussit à s’assurer la neutralité de l’Autriche en échange de territoires dans les Balkans. Une seconde guerre éclate en 1787. L’Empire Ottoman reçoit l’appui de la Grande Bretagne. Malgré cela, les Russes remportent de nombreuses victoires. Le traité de Jassy du 9 janvier 1792, fait passer la Crimée dans l’orbite russe.

Le premier partage de la Pologne en 1769 donne à la Russie la partie biélorusse et lettonne. Le reste revient à l’Autriche et à la Prusse. Les armées russes étant occupées en Crimée, une rébellion éclate en Pologne en 1793. Catherine II envoie des troupes et reçoit l’aide des Prussiens. Cette fois, la Russie s’empare de la Lituanie et du reste de l’Ukraine. Catherine II se soucie fort peu de la religion et de l’origine ethnique de ses sujets. Elle ne pense qu’en termes de politique de puissance, de stratégie, de prestige, le tout pour la plus grande gloire de la Russie et de sa souveraine.

En 1788, la Suède déclare la guerre à la Russie et menace Saint-Pétersbourg, mais le conflit n’aboutit à aucun résultat, car le Danemark s’est allié à Catherine II. L’impératrice éprouve une haine féroce vis-à-vis de la Révolution Française, cet évènement qui a renversé une monarchie et la distingue de la révolution des philosophes des Lumières. En 1793, elle rompt toutes relations avec la France.


La fin du règne de la Grande Catherine
Le 5 novembre 1796, à l’âge de 67 ans, Catherine II est victime d’une crise cardiaque dans son palais de Saint-Pétersbourg. Son fils lui succède sous le nom de Paul Ier. Quel que soit le jugement qu’on porte sur Catherine II, on est bien forcé de reconnaître l’importance de son règne : en politique étrangère, avec la conquête de la Russie méridionale et le partage de la Pologne, dans le domaine intérieur, avec le développement du servage et le statut privilégié de la noblesse, dans le domaine culturel avec l’occidentalisation du pays. L’époque de Catherine II marque l’aboutissement des tendances antérieures et prépare le XIXe siècle russe.






SOURCE :
texte : RIASANOVSKY. Nicholas, Histoire de la Russie.
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