mercredi 20 octobre 2010

Venise


L’irrésistible ascension
En 810, l’installation du doge Angelo Participario sur le Rivoalto, sur le delta du Pô apparaît comme l’évènement fondateur de Venise. Quinze ans plus tard, deux marchands y entreposent les reliques de Saint Marc, probablement dérobées à Alexandrie.

Venise se lance dès le IXe siècle dans le commerce avec l’Orient et se substitue peu à peu aux Byzantins. Le Basileus a besoin d’eux, de leur navire pour s’opposer aux ambitions des Normands. En 1082, ce dernier accorde à Venise le chrysobulle délivrant des exemptions de taxe et des droits de douane dans tout l’Empire. Ce type de traité est renouvelé avec l’Empereur des Francs et le roi d’Afrique du Nord. Il faut ménager ses privilèges économiques. Vis-à-vis de ses concurrents, Venise se montre brutale : pillages, destructions, expéditions punitives. La cité s’étend sur la vallée du Pô, puis mate les pirates sévissant sur les côtes de Dalmatie.

Craignant pour leur influence à Byzance et au Moyen-Orient, Venise s’engage dans la Première Croisade en armant une flotte et en participant au siège de Haïfa. En 1100, les Vénitiens s’emparent des reliques de Saint Nicolas à Rhodes. En 1123, la cité aide Jaffa contre le sultan d’Egypte. L’avancée des croisés permet aux Vénitiens de créer des comptoirs commerciaux sur les côtes de Méditerranée. Lors de la Quatrième Croisade, Venise, désirant se venger de Byzance qui lui a retiré tous ses privilèges et menace ses comptoirs, détourne les Croisés qui pillent Constantinople en 1204. Le doge s’empare d’un grand nombre de site dans la Mer Egée et Ionienne.

Gênes est la plus grande rivale de Venise. La cité assure son pouvoir sur une partie de la Provence et de la Toscane. Sur la Mer Egée, elle étend ses comptoirs lors des croisades. Une série de guerre éclatent, opposant Venise et Gênes. La dernière, connue sous le nom de Chioggia s’achève par le traité de Turin en 1381. Gênes doit sa défaite aux problèmes internes dues à la lutte entre les grandes familles.

Au XVe siècle, l’Etat de Venise comprend la cité mère et les villages de la lagune, les Provinces du Nord, le Frioul et la vallée du Pô. A cela s’ajoutent toutes les colonies et les comptoirs présent sur toutes les côtes de l’actuelle Slovénie jusqu’à Chypre.


L’âge d’or des galères
Les galères de Venise sont les plus belles et les meilleures de la mer. Une supériorité technique qui tient à la qualité des bois choisis, à la rigueur des méthodes de construction et à l’habileté des ouvriers employés dans les arsenaux.

C’est Venise qui met au point la galère au début du XIVe siècle, un vaisseau plus gros et plus maniable. Les capitaines louent leur bateau à prix d’or. Les galées perdurent jusqu’au XVIe siècle, au profit des galions. Cependant, la perte de puissance de Venise vient du fait que les grandes puissances européennes se dotent de marine et commencent à sillonner les mers, ne passant plus par l’intermédiaire vénitien. Les galées sont alors reconvertis en vaisseau de guerre et prennent le nom de galéasse.

Il faut 200 hommes pour diriger et propulser. Les officiers de marine sont toujours choisis parmi les 150 familles inscrites sur le livre d’or de la cité. Les jeunes nobles sont navigateur et ont suivi une initiation à la mer, au commerce et aux armes. Les capitaines doivent enrôler et payer leur équipage. L’Etat ne s’occupe que d’entretenir le navire.

La conduite du navire appartient au comite assisté par un sous comite et des officiers de pont. Un charpentier, un calfat, un remolat (construit et répare les rames), un tonnelier, un aumônier, et un barbier viennent s’ajouter aux rameurs. Ces derniers sont tous des homes libres jusqu’au XVIe siècle. Tant que l’esprit communal mobilise les énergies populaires pour la défense de la cité, le peuple fournit les Galeotti nécessaires. En temps de guerre, la cité recourt aux services militaires. L’essor de l’artisanat et des industries de luxe compense le déclin maritime du XVIe siècle. Le mieux vivre n’incite guère le peuple à supporter d’être Galeotti. Seuls les plus pauvres continuent de s’engager. Il faut dire que les conditions de travail des Galeotti n’ont cessé de se dégrader depuis la fin du XIVe siècle. Leurs prédécesseurs formaient une milice sorte de citoyens soldats défendant le navire et la patrie. Par la suite avec l’arrivée des canons, la guerre devient affaire de professionnel. Le Sénat se méfie de ces mercenaires qui coutent chers et qui sont peu fiables.


La Sérénissime République
Le système de gouvernement de Venise, relativement original pour l'époque, était la République. Mais une république oligarchique, comme Florence. Les grandes familles de la ville, représentées au Grand Conseil, élisent le Doge, qui conduit la politique sa vie durant. Les Vénitiens ont élaboré au cours des siècles une organisation institutionnelle originale et très complexe visant, d'une part à concentrer les pouvoirs entre un nombre restreint de familles patriciennes, d'autre part à éviter toute évolution vers un système de type monarchique, malgré la prééminence d'un personnage, le Doge, qui symbolisait le pouvoir de l'État.

Le chef de l'exécutif portait le titre de doge. Il était théoriquement élu à vie. Le caractère viager devait se perpétuer sans changement au cours des siècles, alors que le doge perdait peu à peu tout pouvoir personnel. La fonction de doge était dévolue à un membre d'une famille patricienne choisie dans un cercle restreint, mais la transmission n'en devint jamais héréditaire malgré les tentatives de quelques-uns. Ces tentatives aboutirent d'ailleurs à faire évoluer le mode de désignation du doge de manière à exclure toute possibilité de transmission héréditaire ou d'accaparement par des factions. Par la suite, les doges démissionnèrent assez souvent pour se retirer dans une vie monastique, sous la pression des oligarques, quand ils étaient discrédités par leur action politique.

Le Grand Conseil se substitue à l'assemblée populaire appelée arengo. De lui émanent toutes les autres institutions : leur multiplication et l'enchevêtrement des compétences favorisent la collégialité des décisions, mais aussi la surveillance réciproque. Il est composé des membres des familles inscrites au Patriarcat. Tous les hommes de plus de 25 ans peuvent y participer, à condition cependant de ne pas avoir épousé de roturière. L'aristocratie vénitienne se compose surtout d'armateurs, de négociants et de banquiers, dont les revenus se fondent plus sur le commerce que sur la terre. Par la Serrata del Consiglio en 1297, l'accès au Grand Conseil fut restreint à ceux dont les ancêtres en avaient été membres. L'insertion au sein du patriciat vénitien est donc de droit fermé. Réuni tous les dimanches, le Grand Conseil prend les décisions politiques, promulgue les lois et choisit les hauts magistrats. La tendance à déléguer les pouvoirs d'un corps nombreux à une commission restreinte de spécialistes fut une caractéristique durable de l'organisation de cette république oligarchique.


Le dimanche de Lépante
Avec la chute de Byzance en 1453, Venise entre en conflit avec l’Empire ottoman. En aout 1503, après le désastre subi près de Zonchio en Mer Ionienne, la République signe une paix avec le Sultan. Venise reconnaît la perte de la plupart de ses possessions en Grèce et en Albanie. Une nouvelle défaite en 1540, alors qu’elle était pourtant alliée aux Génois et aux Espagnols, leur coute 300.000 ducats et l’abandon des colonies égéennes. De plus, elle doit verser un tribut à Constantinople. En 1570, Selim II fait saisir tous les navires vénitiens présents dans le Bosphore en représailles des corsaires chrétiens présents à Chypre, possession vénitienne.

A partir du XVIe siècle, l’Espagne a étendu sa domination sur toute l’Italie. A la cour de Philippe II, on n’apprécie guère les Vénitiens, considérés comme des profiteurs. Aussi l’Espagne retarde au maximum la création de la Sainte Ligue contre les Turcs, voulue par Pie V et le Doge. Elle n’est créée que le 19 mai 1571. Une flotte est constituée sous le commandement de l’Espagnol Don Juan d’Autriche, demi frère du roi, tandis que l’escadre vénitienne est dirigée par Sebiastiani Veniero âgé de 70 ans.

A l’aube du 7 octobre 1571, la flotte de la Sainte Ligue composée à cinquante pour cent de navires vénitiens, atteint l’entrée du golfe de Patras près de Lépante où mouille la flotte turque. La bataille fait rage toute la journée et se solde par une victoire des chrétiens. Venise comme tout l’Occident, célèbre en grande pompe cette victoire contre les infidèles, mais la flotte ottomane est vite reconstituée et Venise ne peut récupérer ses comptoirs et encore moins Chypre perdue quelques temps avant Lépante.


Un inexorable déclin
A la fin du XVIe siècle, l’aristocratie marchande concurrencée par les Ottomans, les Anglais et les Français diversifient leurs investissements, en délaissant les objectifs maritimes traditionnels pour ceux de la terre. La noblesse s’intéresse à la plaine du Pô et entreprend une politique de bonification et d’investissements fonciers.

Venise compense les lourds déséquilibres financiers et les pertes démographiques dues aux guerres, par le renforcement de sa puissance industrielle. La construction navale stagne et plus l’Arsenal perd de son importance, plus la République augmente ses dépenses pour décorer son fameux chantier. Le palais des Doges et tous les lieux officiels sont ornés de statues et de peintures rappelant la grandeur maritime d’autrefois.

En 1606, Paul V excommunie le doge Leonardo Dona et une coalition (Papauté, Savoie, Milan, Autriche et Espagne) se forme contre la République, qui reçoit l’appui de l’Angleterre et de la France. Le conflit s’achève en 1617 par la paix de Madrid. Lors de la Guerre de Trente Ans, Venise reste neutre. En 1646, les Ottomans débarquent en Crète, dernière possession vénitienne. A elle seule, avec l’aide des Chevaliers de l’Ordre de Malte, elle libère l’île. S’ensuit une guerre de dix ans dans laquelle, la Sérénissime dépense 130.000 ducats et perd un grand nombre d’hommes et la Crète. Pour remplir les caisses de l’Etat, le gouvernement vend des titres de noblesse aux plus riches familles de parvenus.

En 1684, Venise rejoint la Ligue contre les Turcs avec le Pape, l’Autriche et la Pologne. Le commandement de la flotte vénitienne est confié à Francesco Morosini, déjà chef lors des batailles en Crète. Il conquiert le Péloponnèse. Le 29 septembre 1687, il se vante d’avoir fait exploser la poudrière turque cachée dans le Parthénon. En 1692, il est élu doge. La paix de Karlowitz en 1699 entérine les nouvelles possessions vénitiennes. Ces dernières sont toutes perdues en 1714 au profit des Turcs.

Cette fois, Venise ne peut compter sur l’Autriche qui préfère affaiblir le concurrent du port de Trieste. Au XVIIIe siècle, Venise demeure neutre politiquement. La République rechigne à s’adapter aux nouvelles idées se répandant en Europe et se crispe sur ses traditions conservatrices. A partir de 1718, l’arsenal ne produit plus qu’un navire par an. La flotte de guerre n’étant plus d’aucune utilité, la République préfère équiper des navires marchands. En 1797, Napoléon Ier entre dans Venise et force le doge ainsi que le Grand Conseil à renoncer à leur mandat. Venise n’est plus qu’une simple ville de l’Empire français puis de l’Italie contemporaine.



"Ce jour là, que j'entrai à Venise, je fus bien émerveillé de voir tant de clochers et de monastères et si grand maisonnement, et tout en l'eau et le peuple n'avoir autre forme d'aller qu'en ces barques."
Philippe de Commynes


Source :
Texte : ZYSBERG. André : Venise et la mer.
Image : leseaux-et-les hommes.eu

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