mercredi 19 janvier 2011

La Généalogie


L’Antiquité : une généalogie dominée par les dieux
Au fil des âges, les clans disparaissent pour engendrer deux institutions complémentaires : l’Etat et la famille. L’Etat restant centré sur la personne du monarque, sa famille devient très importante. Le roi tire sa légitimité de sa famille. Par le jeu des mariages, il peut se ménager des alliances.

Cette évolution précède de peu l’apparition de l’écriture. Les premiers textes sont autant des aides comptables que des listes royales. Les plus anciennes proviennent de la cité de Shuruppak en Mésopotamie, vers -2700. Le même phénomène se retrouve en Chine et en Egypte.

Les généalogies mythologiques donnent aux dieux une famille, dont les familles humaines sont considérées comme le reflet et donnent aux grandes lignées monarchiques une origine divine ou héroïque. Les dieux les plus archaïques sont probablement des hommes, dont les actions ont fait l’admiration de leurs contemporains et auxquels ils rendent un culte après leur mort. Les rois d’Uruk, descendent du héros sumérien Gilgamesh divinisé après son décès, prennent leur place parmi les dieux.

Avec Romulus et Remus, fils de Mars et d’une vestale nommée Rea Silva, Rome reprend cette tradition. Plus tard, le mythe s’enrichit de l’ascendance de Vénus, par le biais d’Enée. Cette ascendance divine contribue à asseoir le numen imperatores, c'est-à-dire le caractère divin de la personne de l’empereur.

Ce modèle se diffuse chez les patriciens, puisqu’ils tiennent leurs pouvoirs politiques de leurs ancêtres. L’atrium des maisons est décoré des portraits de famille reliés entre eux par des rubans. L’influence de la gens la parenté large, s’estompe à mesure que grandit la notion de famillia, cellule plus restreinte placée sous l’autorité sans partage du pater familias. Chaque famille se reconnaît encore dans la succession de ses ancêtres et se rattache aux grands ancêtres de la gens.

La Bible est un d’un certain côté un livre de généalogie. La Genèse explique comment Dieu a créé le monde. L’Homme constitue l’aboutissement de ce grand dessein. L’humanité est issue de l’union d’Adam et Eve et de leurs descendances. Certains chapitres sont presque entièrement consacrés à la généalogie de la famille d’Adam. A travers la Bible, on peut voir apparaître un nouveau modèle de généalogie, excluant les filles et les cadets. Il s’agit là du modèle hébreu, qui va influencer les généalogies occidentales.


Le Moyen-âge : entre religion et pouvoir
Le Haut Moyen-âge constitue une phase de repli pour la généalogie. Seule la mémoire des hommes politiques en constitue encore le support actif. Les peuples germaniques amènent une nouvelle vision de la famille. En effet, les peuples nordiques et celtiques donnent autant d’importance aux familles alliées qu’aux ancêtres directs. Les clercs adaptent ce modèle à ceux des romains et des hébreux.

Les généalogies de saints connaissent un succès considérable dès les premiers siècles du Moyen-âge. Leur but est d’établir la parenté du saint avec un ou plusieurs autres personnages importants. L’Eglise fait jouer à de nombreux saints le rôle tenu par les héros et les dieux dans les sociétés antiques.

La représentation de la généalogie d’une famille sur les branches d’un arbre, est l’une des innovations médiévales. Elle apparaît au XIIe siècle avec l’arbre généalogique du Christ depuis Jessé, père du roi David, d’où son nom d’arbre de Jessé. La métaphore d’Isaïe (XI 1-3) contenue dans la Bible ne demande qu’à être étoffée au moyen de degrés intermédiaires pour devenir un arbre. L’abbé Suger en donne une version définitive sur les vitraux de Saint Denis. Jésus Christ placé au sommet de l’arbre, est Dieu, mais il est aussi homme, puisqu’il descend d’une lignée d’hommes et qui plus est d’une lignée royale.

Le modèle est repris par les rois en lutte contre leurs vassaux. Le fils de Dieu, par la grâce duquel les rois sont rois, est lui-même de sang royal. Par conséquent, il reste le meilleur garant de l’institution monarchique.

Jusqu’au milieu du XIe siècle, on ne connaît aucune autre généalogie que celle des rois. Elles informent également sur des aspects politiques. Ainsi, Edouard III d’Angleterre utilise la généalogie pour appuyer ses prétentions à la succession au trône de France, cause la Guerre de Cent Ans. Lorsque la transmission du trône par primogéniture finit par s’imposer dans la plupart des royaumes européens, la généalogie voit son rôle se préciser. Elle permet de déterminer la place de chaque membre par rapport au trône.

A partir du XIe siècle, les princes font aussi leur généalogie en reproduisant les modèles royaux, dans le but de légitimer leur pouvoir. La plupart d’entre elles affichent des liens de parenté avec la lignée royale, notamment avec les Carolingiens. L’héraldique s’y ajoute à partir du XIVe siècle.


Les Temps Modernes : l’érudition et le paraître
L’Etat civil français se développe au XVIe siècle. L’article 51 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 15 août 1539, prévoit la tenue de registres, où sont notés les nouveaux nés baptisés et déclarés sous le nom de leur père. Cette nouveauté instaure la pérennité des noms patronymes. En complément, le Concile de Trente prescrit la tenue des registres de baptême et impose la mention du nom des parrains et marraines.

En 1579, Henri III instaure les registres de mariage par l’ordonnance de Blois. En 1667, l’ordonnance de Saint Germain oblige à remplir les actes en double exemplaires. Cette copie doit être déposée au greffe du baillage, une institution civile. En 1792, l’assemblée transfère les registres aux officiers communaux.

Au XVIe siècle, les généalogistes se préoccupent de méthodes, comme l’attestent les traités du belge Jean Scohier. L’allemand Michael Eyzminger développe une numérotation des ancêtres. Cette technique est reprise et améliorée par l’espagnol Jérôme de Sosa en 1676, puis par Stéphane von Stradonitz au XIXe siècle.

Sous l’impulsion de Jean Mabillon, la généalogie bénéficie de l’étude des sources, de la paléographie et de la diplomatique. Certains écrivains se spécialisent dans l’étude d’une province ou de certaines catégories de personnes. Au XVIe siècle, Jean Le Laboureur et Claude François Ménestrier publient un traité faisant encore référence. Ils instituent le principe de recherche par quartier, montrent l’importance de la totalité des ascendants et relativisent le principe exclusif de la généalogie agnatique. Les Français se rapprochent des préoccupations des généalogistes des pays de droit germain, où le principe de succession en ligne maternelle et paternelle s’équivalent.

L’administration royale met en place au XVIIe siècle, les généalogistes royaux et les juges d’armes de France. Les premiers sont chargés d’établir les preuves de la noblesse des candidats aux divers ordres et charges militaires. Le premier généalogiste royal est André du Chesne, puis la charge devient héréditaire dans la famille de Clairambault. Les seconds recensent toutes les armoiries existantes dans le royaume, accompagnées de notices sur les familles les possédant. Les deux institutions sont supprimées à la Révolution.

Les officiers de la généalogie deviennent des auxiliaires de l’administration fiscale. En effet, l’enregistrement des armoiries est taxé d’une somme de vingt livres. Par ailleurs, les officiers mènent des recherches, afin de réprimer les usurpations de noblesse, qui sous entend d’importants avantages fiscaux. A partir de 1666, chaque noble est tenu de présenter les preuves de son état au moyen d’une filiation en ligne masculine.

Un nouvel état d’esprit émerge au XVIIIe siècle. Pour les philosophes des Lumières, la généalogie est une science vaine et artificielle. Elle contribue à maintenir l’existence d’un ordre privilégié en mettant en avant le caractère héréditaire. Dans l’Encyclopédie, Diderot se montre très critique vis à vis de la généalogie.

En Allemagne, la généalogie gagne ses galons de science auxiliaire de l’histoire. Le traité théorique de Will et Gatterer propose des méthodes pour effecteur des recherches et pour établir des généalogies. La Révolution change l’objet de la discipline en s’occupant de la vie de toutes les familles.


L’Epoque Contemporaine : de nouvelles généalogies
Le législateur républicain a apporté à l’Etat civil français de nombreuses améliorations dans la précision dans la rédaction des actes, avec l’ajout de mentions marginales. Les greffes du tribunal les reversent aux archives départementales au bout de cent ans.

Si pour les nobles, il ne sert plus à grand-chose de prouver son état, pour de nombreux bourgeois la reconnaissance sociale ne peut se passer de titres de noblesse. Des officines se chargent d’obtenir des filiations de complaisances. Outre Rhin, la généalogie se lie avec d’autres sciences : statistique, médecine, sociologie. Pour l’historien Ottokar Lorenz, la généalogie se trouve au carrefour de toutes les sciences. Après lui, le baron Von Durgen étudie les rapports avec la génétique. Ainsi la généalogie se transforme en une discipline aux pratiques multiples et s’internationalise.

Au début des années 1960, la généalogie intéresse les universitaires et le grand public. La révolution industrielle a entraîné un exode rural. Les jeunes ont progressivement perdu le contact avec leur famille restée sur le lieu de naissance ou d’origine. Le déracinement est encore plus complet, lorsqu’ils se marient avec des conjoints issus d’autres régions et que leurs enfants naissent et partent à leur tour. Les difficultés de la vie urbaine, le poids des soucis professionnels, ceux engendrés par les nouvelles structures familiales, suscitent le besoin de se rattacher à un groupe. De plus, le niveau d’instruction s’est accru et généralisé, donnant le goût de l’histoire, le sens critique et une méthode.

Les archives ont dû s’adapter à cette nouvelle demande. Certains directeurs organisent des cours de paléographie ou d’aides à la recherche. La généalogie constitue une sorte de prolongement de soi. En ce sens, elle peut être considérée comme une quête identitaire.



SOURCE

Texte : BOOS. Emmanuel de : La Généalogie : famille je vous aime.

Image : ameriquefrançaise.org

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