mardi 21 décembre 2010

Sissi, l'impératrice

La mouette noire
Le 10 septembre 1898, Elisabeth de Bavière, impératrice d'Autriche et reine de Hongrie, vient d'être assassinée, à 60 ans, par un anarchiste italien du nom de Luigi Luccheni, à sa sortie de l'hôtel Beau-Rivage à Genève. Elle était accompagnée de sa dame d'honneur la comtesse Sztaroy. A 14h40, elle disparaît sans souffrir d'un monde, qu'elle ne voulait plus depuis le suicide de son fils Rodolphe en 1889.

En 1890, François Joseph gouverne avec un sérieux inébranlable, l'immensité des peuples, qui composent son empire. Il s’adonne secrètement à un adultère platonique avec l'actrice Catherine Schratt. Elizabeth est satisfaite et délivrée en grande partie de son époux. Elle se sent libre. Dès lors, elle parcourt l'Europe. Elle voyage incognito, autant pour éviter un attentat que par souci de liberté et d'indépendance. Elle sillonne la Méditerranée et l’Atlantique à bord de ses bateaux de croisière.

Tout le monde tarit d'éloges sur sa beauté. Cependant, elle souffre de sciatique, qui la fait hurler en secret et son visage tanné par le soleil est ridé, si bien qu'elle le cache derrière un éventail. Contre ce naufrage, elle se bat : massages, marches, bains, et régimes. Par ailleurs, elle est souvent dépressive. Un mètre pour 74.50 kg, elle a tout d’un mannequin d'aujourd'hui.

Les Viennois la détestent. Ils lui reprochent d'être toujours absente, de laisser son époux et sa famille et de ne penser qu'à son physique. Pourtant, elle n'est méchante avec personne et courtoise. A l'annonce de sa mort, ils pleurent peu. Les Hongrois davantage.


Luccheni est jugé et condamné à la prison à perpétuité. On le retrouvera pendu dans sa cellule. Pour lui, anarchiste convaincu et ouvrier, le système bourgeois est tellement pourri qu'un grand coup suffirait à le détruire complètement. L'impératrice semblait faire l'affaire. Il n'avait pas compris, que celle ci n'avait plus de poids politique et qu'elle haïssait autant que lui les rois.



L'enfant du dimanche
Le 16 août 1853, l'empereur François Joseph doit épouser Hélène de Bavière la sœur de Sissi, mais lorsqu'il la croise pour la première fois, il en tombe amoureux et décide de l'épouser. Sissi n’a guère de choix. On ne peut pas refuser l'Empereur d'Autriche. Le mariage est célébré quelques jours plus tard. L'archiduchesse Sophie, la mère de l'empereur désirait renforcer l'alliance entre l'Autriche et les pays allemands. C'est pour cette raison qu'elle avait choisit Hélène.


Sissi est une petite fille au cœur enflammé. Assez cancre, elle n'aime ni l'étude, ni le piano. En revanche, elle dessine. Parmi ses passions : son père, la montagne et les animaux. Excellente cavalière, elle est également très sportive. Sissi hérite du caractère de son père, le Duc Maximilien. Toutes ses passions sont perçues comme des lubies extravagantes à la cour de Vienne. C'est un prince bourgeois, libre d'esprit qui brise les tabous de sa condition.


François Joseph est âgé de 23 ans. Il est magnifique dans son uniforme blanc. C'est un souverain studieux, consciencieux, ponctuel, scrupuleux, responsable de ses actes et excellent danseur. Elevé pour l'Empire, il incarne l'Empire et remplira ses fonctions jusqu'à sa mort en 1916. Ce qui parait le plus surprenant, c'est qu'il ait épousé une fille, qui lui soit totalement opposée, perturbatrice, incontrôlable, rêveuse, et fantaisiste.



Rose tuberculeuse
Dès le lendemain de ses fiançailles, l'éducation impériale s'abat sur Sissi. Elle doit apprendre, l'italien et le français, l'histoire la danse et les protocoles. Elle est mise à l'épreuve dès son départ de Munich pour Vienne. A Straubing, elle doit assister à une cérémonie sur un vapeur. Son voyage dure trois jours, où les cérémonies, les ballets, les pièces de théâtre et les discours s enchainent. A chaque étape, elle rencontre les corps municipaux et le clergé.


Soixante dix prélats assistent le Cardinal Rauscher, dont le sermon interminable ne manque pas de souligner la dignité du couronnement. Sissi est à bout de nerf et font en larme après la cérémonie. La nuit de noce est un fiasco. Par ailleurs, la Reine-Mère veille, intransigeante en ce qui concerne l'étiquette. Quelques jours plus tard, le couple impérial part en Moravie, pour assister à des défilés militaires et rencontrer les dignitaires de la région. Les premiers malaises de Sissi apparaissent. Certes, elle est enceinte, mais l'étiquette trop rigide et l'emploi du temps d'impératrice ne la laisse pas vivre. Très vite le ton monte entre Sissi et sa belle-mère. L'archiduchesse lui reproche son manque d'éducation et ne lui épargne aucune remarque. A la naissance, elle lui confisque ses trois filles, pour les confier à une gouvernante. Il lui faudra deux ans pour réagir. En septembre 1856, elle parvient à partir avec son époux, pour une ballade à la campagne. Elle parvient à convaincre son époux de lui restituer ses filles et elle aura en partie gain de cause. Sissi ne se sent bien, que lorsqu'elle est en excursion romantique avec son époux. Elle essaiera d'en organiser autant que possible.

C'est lors de son voyage en Hongrie que sa vie change. De ce pays, elle aime tout, le désir d'indépendance, le tempérament passionné, les revendications libertaires, la musique et les chevaux. De plus, l'archiduchesse déteste la Hongrie. Sa première fille meurt à Budapest et Sissi portera le deuil jusqu'à la naissance de l'héritier en 1859, qui sera lui aussi confisqué.

La situation en Italie s’aggrave. L'Autriche est obligée d'envahir le Piémont, soutenu par la France. La guerre est perdue, mais elle est surtout cruelle. Sissi organise des hôpitaux sur le front et presse son époux de faire la paix. L'Autriche sort affaiblie de cette guerre.

Sissi organise de nombreux bals et n'hésite pas à quitter le palais pour aller danser secrètement chez des amis. Aux limites de l'épuisement nerveux, elle passe des accès de larmes aux quintes de toux. Pas de doute, elle se rend malade et s'enlaidit. Son médecin lui conseille de prendre beaucoup de repos dans un climat doux. Sissi heureuse, quitte Vienne pour Madère. Elle semble aller mieux et rentre à Vienne après quelques mois. Toutefois, elle rechute rapidement. Sissi repart donc de nouveau, cette fois à Corfou. Après deux ans d'absence et suite à la colère de son époux, elle rentre à Vienne à condition d'avoir des moments de liberté et de pouvoir s'occuper de son fils. Conditions acceptées, au grand dam de l'archiduchesse.



Elisabeth ou les libertés
L'irruption de la Hongrie comme partenaire à part égale avec l'Autriche, l'établissement du compromis de 1867 et d'une monarchie donnant naissance à l'Autriche Hongrie est l'œuvre de Sissi. Elle est encore jeune, lorsque son professeur d'histoire lui vante les bienfaits de la république. Lorsqu'elle revient de Corfou, elle apprend le hongrois, langue qu'elle maitrisera parfaitement. En 1864, Ida Ferenczy noble hongroise, entre à son service. Confidente privilégiée, amie de cœur, loyale, discrète, elle fait connaitre à l'impératrice la grande figure hongroise libérale Franz Deak. En janvier 1866, le couple impérial se rend en Hongrie. Sissi est adulée. Elle se lie d'amitié avec Andrassy, le successeur de Deak.


Lorsque Bismarck conclut un traité avec l'Italie, la Prusse devient une menace pour l'Autriche et la guerre éclate en 1866. Le 3 juillet, l'Autriche perd la bataille de Sadowa. Sissi reprend l'organisation des hôpitaux. Le 9 juillet, elle se rend à Budapest avec ses enfants et implore l'aide de la Hongrie. En échange d'un statut libéral, la Hongrie s'engage à rester fidèle à l'Autriche. Fin aout, la paix est signée avec la Prusse, puis en octobre avec l'Italie. L'Autriche perd de nombreux territoires. Le 8 juin 1867, François Joseph et Elisabeth sont sacrés roi et reine de Hongrie.



Titiana, ses ânes et ses fées
Le Songe d'une nuit d'été, comédie de Shakespeare est la pièce préférée de Sissi. La pièce raconte l'interminable brouille entre le roi des esprits et la reine des fées, qui se disputent un prince venu d'Inde. Titiana la reine, est ensorcelée pour s'éprendre du premier mortel sur qui tombera son regard à son réveil. L'artisan Botton, qui a une tête d'âne, après s'être moqué des lutins, est celui ci. Botton correspond à l'empereur François Joseph. Sissi se venge de la frigidité d'une jeune femme "violée" après trois nuits d'un mariage, qu'elle n'a pas choisi. Cela n'exclut pas pour autant la tendresse et cela n'implique aucune fidélité physique.


Pour consoler les chagrins de Titiana, une foule de fées se pressent autour d'elle. Innombrables, elles s'attachent aux pas d'Elisabeth, par fonction autant que par tendresse, femmes de chambre, coiffeuse ou dames d'honneur. D'elles, la reine exige une discrétion absolue, des marches forcées et une distance vis à vis de la cour de Vienne. Un cercle plus loin, ce sont les cavalières souvent issues du cirque. Carmen Sylva, reine de Roumanie, poète et républicaine est une confidente et une très bonne amie de Sissi. Les deux reines possèdent plusieurs passions en commun : la poésie et la haine de la noblesse et de la monarchie.


Après la mort de sa première fille, il reste à Sissi, Gisèle et Marie-Valérie. La première élevée par l'Archiduchesse lui échappe complètement. La seconde en revanche, est l'enfant élu et élevé dans le charme hongrois. Son fils Rodolphe ressemble plus à sa mère que Marie-Valérie, petite fille sage dont la rigidité rappelle celle de l'empereur.



Sissi Jugendstil
Jusqu'en 1888, Sissi pratique l'équitation avec acharnement, s'y mêlent tout à la fois : les souvenirs d'une enfance bavaroise, l'amour de la Hongrie et la sensation de liberté. Elle pratique tout de la promenade à la chasse en passant par le dressage et le saut d'obstacle. Aux marches et à l'équitation s'ajoutent l'escrime, qu'elle pratique deux heures par jour et les bains de mer.

Sissi a une passion pour la Grèce et notamment pour Achille, mais surtout pour le poète Heinrich Heine, un ami de Karl Marx. A sa mort, elle soutient et finance l'érection d'une statue représentant le poète à Vienne. A la fin des années 1880, l'engagement de l'impératrice dans la commémoration d'un poète juif exilé fait scandale. La presse antisémite la déclare "valet des juifs". Elisabeth doit renoncer à ce projet et place la statue dans son palais privé à Corfou. Heine est certes un grand poète, mais il est juif et Sissi nourrit une passion pour l'hébreu. Néanmoins, c'est surtout l'anticonformisme et la critique de la société par Heine, qui la séduite.

Comme son père, Sissi adore les tziganes. Comme son père, elle fait venir un couple de sœurs siamoises noires et s'attache d'un petit africain, qu'elle fait baptiser. Contemporaine d'Henri Dunant, Sissi n'est jamais si tendre qu'au chevet des handicapés et des malades. Innombrables sont les épisodes qui la rattachent à la grande Elisabeth de Hongrie, la sainte des pauvres et des déshérités. Cette dimension de Sissi s'interprète comme une morbide attirance pour la mort et aussi par la volonté de montrer aux Etats, qu'il est grand temps de s'occuper de ce genre de problème.

Mystique, Sissi s'abandonne aux recherches psychiques, à l'époque où Freud tâte de la cocaïne pour explorer l'inconscient. Elle est hantée par l'idée du génie poétique et refuse de publier ses œuvres. Narcissique, elle soigne sa beauté et la dissimule aux yeux de toux derrière son éventail. Cultivant son image, mais détestant le regard des autres, confiante dans son intelligence, mais affectée de remords et de culpabilité, Sissi vit en état de crise permanente, en état d'anarchie.





"Je suis très prudente dans ce que je raconte des autres, car j'ai trop souffert de ce que l'on disait de moi."
Elisabeth d'Autriche


Sources :
Texte : CLEMENT. Catherine : Sissi l'impératrice.
Image : jci.cc

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