vendredi 12 novembre 2010

L'Europe

La Genèse
En 1945, l’Europe est de nouveau en ruine. L’ampleur même du désastre prépare les esprits à de profonds changements politiques. Il faut infléchir l’organisation traditionnelle des Etats européens pour ne plus revivre de telles atrocités. Dès 1941, l’italien Altiero Spinelli écrit de sa prison de Ventotene, un manifeste « Pour une Europe unie ». Pour lui, l’existence des Etats Nations est un facteur de guerre. Seule la mise en place d’une fédération européenne peut garantir durablement la paix. Au printemps 1944, les mouvements de résistance européens non communiste, réunis en Suisse, lance un appel pour une union fédérale en vue de dépasser le dogme de la souveraineté des Etats.

En 1947, les Etats-Unis décident de mettre en œuvre un programme d’aide financière à l’Europe, selon le plan Marshall. Il faut que l’Europe de l’Ouest se redresse au plus vite, afin de résister à la menace communiste et d’offrir des débouchés à leur industrie. Les Etats-Unis livre une enveloppe globale, à charge aux Etats bénéficiaires de s’entendre entre eux pour la répartition des fonds. Dans ce but est créé en 1949, l’OECE, dont les règles de fonctionnement laissent une très large place aux gouvernements nationaux.

En 1948, les cercles fédéralistes prennent de l’essor et se structurent au sein d’un comité international de coordination. Ils organisent un congrès à la Haye, réunissant 800 personnes sous la présidence de Winston Churchill. Une opposition se fait jour entre les tenants d’une coopération renforcée entre les Etats-Nations et les fédéralistes. Le congrès de la Haye aboutit à la création d’un Conseil de l’Europe avec le belge Paul Henri Spaak comme président. Son but est la réalisation d’une union plus étroite entre ses membres. Fixé à Strasbourg, il est dirigé par un Comité de ministres et comprend une assemblée consultative.

Les coups d’Etat successifs organisés par les partis communistes comme à Prague en février 1948 et le blocus de Berlin, inquiètent les dirigeants européens. La France, la Grande Bretagne et le Benelux signe un accord de défense à Bruxelles. Cet accord comprend la création d’un état-major, dont le chef est le général Montgomery. Des négociations sont ouvertes avec les Etats-Unis, aboutissant au 4 avril 1949 au traité d’Atlantique, constituant l’OTAN.

L’expérience des deux guerres mondiales montre que, sans véritable rapprochement des peuples, le jeu des alliances ne suffit pas. Jean Monnet, commissaire général au plan, préconise de commencer par des réalisations plus pragmatiques, en fonction des besoins. C’est la méthode fonctionnaliste. Monnet soumet au ministre des affaires étrangères Robert Schuman, un projet de communauté pour le charbon et l’acier. Il s’agit de mettre en commun les bases indispensables à la production des armements et au développement économique. Le 9 mai 1950, Schuman lance le projet dans un discours au Quai d’Orsay.

Le projet de Monnet est bien reçu en Allemagne. L’Italie et le Benelux s’y associent. Le traité de Paris signé le 18 avril 1951 crée la CECA. A sa tête une Haute Autorité composé de neuf personnalités indépendantes des gouvernements, mais responsables devant une assemblée parlementaire. Sont également crées un Comité des ministres et une Cour de justice. Installé à Luxembourg, la CECA est financée par un prélèvement de 1% sur le chiffre d’affaires des entreprises du secteur. La Haute Autorité fixe les objectifs de production, soutient la recherche et suit les développements tarifaires. La guerre de Corée en 1950 repose la question du réarmement de l’Allemagne, voulu par les Etats-Unis. La France est inquiète. Monnet et Pleven propose d’intégrer l’armée allemande dans une armée européenne. Le projet d’une communauté européenne de défense (CED) est mis en place, comprenant une armée de 520.000 hommes placée sous le commandement de l’OTAN. LA CED est organisé de la même manière que la CECA.

La mort de Staline en 1953 entraine une certaine détente. La mobilisation des armées françaises en Indochine, lui fait craindre de perdre sa suprématie en Europe. Une coalition de gaullistes et de communistes se forme contre la CED. L’Assemblé rejette le projet. La CED est morte née. Les Etats-Unis autorise la RFA à entrer dans l’OTAN et à rejoindre en même temps que l’Italie l’Union de l’Europe Occidentale (UEO). L’échec de la CED fait également disparaître le projet d’union politique lancé par l’italien Alcide de Gasperi.

Jean Monnet réfléchit avec Paul Henri Spaak aux moyens de relancer la construction européenne. Il faut relancer l’intégration économique en l’étendant à d’autres secteurs que le charbon et l’acier. Les Etats membres se rencontrent en juin 1955 à Messine en Sicile. Un comité d’experts est créé afin d’élaborer un projet. Les Britanniques se retirent dès le début des négociations. La commission propose la création d’un marché commun et la réalisation d’une union douanière. Le 25 mars 1957 est signé le traité de Rome, instaurant la CEE comprenant la France, l’Allemagne, l’Italie et le Benelux.


L’Europe en chantier
Outre la CEE, le traité de Rome instaure Euratom une communauté pour gérer l’énergie atomique. La CEE doit établir un marché commun, avec une libre circulation des hommes, des marchandises, des capitaux et des services et une union douanière. Le traité de Rome prévoit une structure complexe avec trois exécutifs séparés (CEE, CECA, Euratom), qui combine des éléments intergouvernementaux et des éléments fédéraux. Les Etats trouvent leur compte dans ce système. Les institutions nées du traité de Rome s’installent à Bruxelles, à l’exception du Parlement qui est à Strasbourg. La Cour des comptes et de justice sont à Luxembourg.

Les institutions européennes peuvent adopter des règlements directement applicables dans les Etats membres, ou des directives, qui fixent un objectif, mais laissent aux Etats le libre choix des mesures à adopter pour l’atteindre. Le droit communautaire a une valeur juridique supérieure aux droits nationaux. La Cour de justice veille à sa bonne application.

Le Royaume-Uni cherche à diluer le nouvel ensemble dans une zone de libre échange européenne, qui serait commune aux dix sept Etats de l’OECE, dont la fonction est désormais de promouvoir la libération des échanges et des paiements en Europe et transformé en 1960 en OCDE. Il crée en 1959 l’AELE avec le Portugal, l’Autriche et les pays scandinaves. C’est un échec et les britanniques demandent à adhérer à la CEE.

En 1959, les droits de douane baissent de 10% et les importations augmentent de 20%. La CEE doit également permettre à l’Europe des autosuffisantes sur le plan alimentaire et soutenir le revenu des agriculteurs, en garantissant les prix. En juillet 1958, les ministres de l’agriculture se réunissent à Stresa et jettent les bases d’une politique agricole commune, mise au point par le néerlandais Sicco Mansholt soutenu par la France. La PAC est adoptée en 1962. Un prix minimal garanti est instauré pour les agriculteurs et reçoivent des subventions pour compenser la différence de prix. En moins de dix ans, l’Europe couvre ses besoins alimentaires et devient exportatrice.

De Gaulle s’agace du rôle central de la Commission et de l’activisme de son président. En 1960, il propose la création d’une nouvelle structure européenne, dirigé par un conseil des chefs d’Etat et de gouvernement. Christian Fouchet est chargé de préparer un projet. Le plan Fouchet propose l’organisation de réunions des chefs d’Etat qui décideraient à l’unanimité, l’assemblée n’ayant qu’un rôle consultatif. Le second plan Fouchet place les institutions européennes sous la tutelle des gouvernements. Le Benelux et l’Italie s’y opposent.

Les Pays-Bas et la Belgique souhaitent l’entrée de la Grande Bretagne pour contrebalancer le poids français. Le président français s’y oppose à cause de leur atlantisme. Il rejette également la proposition de Kennedy d’établir un partenariat euro-américain, comprenant une zone de libre échange. Il entreprend un rapprochement avec l’Allemagne. En janvier 1963, Adenauer et de Gaulle signent le traité de l’Elysée, renforçant la coopération entre les deux Etats.

En avril 1965, un traité de fusion des exécutifs est signé, mais la politique française retarde le projet. Les ministres français refusent les réformes de la PAC, ne siègent plus aux réunions et bloquent la construction, puisque les décisions doivent être prise à l’unanimité. Un compromis est finalement trouvé. Les pouvoirs de la commission sont réduits et le vote est toujours à l’unanimité. La fusion des exécutifs entre en vigueur en 1967. Cependant, De Gaulle s’oppose toujours à l’entrée de la Grande Bretagne.


Le temps de la consolidation
Le second congrès de la Haye en 1969 mené par Pompidou et le chancelier Willy Brandt permet d’ouvrir les négociations d’adhésion avec quatre candidats, d’augmenter les pouvoirs du Parlement en matière budgétaire et de créer une union monétaire. En 1970 le plan du luxembourgeois Pierre Werner propose une Union Européenne Monétaire (UEM) avec la libre circulation. Les Français sont hostiles à toute gestion de Bruxelles des politiques économiques, alors que les Allemands souhaitent la création d’une Banque centrale européenne (BCE). Un plan par étape est adopté pour satisfaire tout le monde.

En 1971, Nixon annonce la fin de la convertibilité du dollar en or, ce qui met fin à la période de stabilité issue des accords de Bretton Woods de 1944. Pour pallier, ces difficultés, l’Europe met en place un serpent monétaire chargé de réguler les écarts de cours.

En 1973, la Grande Bretagne, l’Irlande et le Danemark adhèrent. La Norvège rejette le traité. Le sommet de Paris réunit les neufs chefs d’Etat et décide d’aider les régions en difficulté, de protéger l’environnement et de mettre en œuvre une politique industrielle. L’année suivante est décidé que le Parlement européen sera désormais élu au suffrage universel direct et met en place un fond pour le développement régional (FEDER). L’Europe se dote ainsi d’une instance d’impulsion politique, d’une représentation démocratique et d’un outil de renforcement de la solidarité. Ces progrès importants n’arrivent pas à masquer l’impuissance de l’Europe à exister comme acteur de la vie diplomatique internationale, se contentant de réaffirmer les principes démocratiques et de verser des aides financières.

Avec la crise économique du premier choc pétrolier de 1973, les discussions sur le financement de la Communauté se durcissent. Les Britanniques obtiennent une diminution de leur contribution. Giscard d’Estaing et Schmidt propose la création d’un système monétaire (SME). Les devises sont liées à l’ECU, la première monnaie européenne destinée aux entreprises et aux comptes. La Communauté s’élargit à la Grèce en 1981, après la chute du régime des colonels. Les agriculteurs français inquiets, retardent l’entrée du Portugal et de l’Espagne.


Espoirs et déceptions
En 1985, le président de la commission Jacques Delors propose à travers l’Acte Unique de transformer le marché commun en marché unique. L’Acte Unique crée de nouvelles compétences en matière d’environnement, de politique, de recherche et sociale. Le vote à la majorité est étendu à toutes les questions, sauf les plus sensibles.

Entre 1985 et 1992 plus de 250 textes abordant une multitude de sujets sont adoptés. Des efforts sont déployés pour rapprocher l’Europe de ses citoyens. Une charte sociale précisant les droits fondamentaux des travailleurs est mise en chantier. Des programmes d’échanges au sein des entreprises et des universités sont créés. Delors propose un nouveau plan d’union économique et monétaire (UEM). Les Britanniques sont contre le transfert de souveraineté que cela implique. Les Allemands et les Néerlandais craignent de sacrifier leurs monnaies. Le plan est tout de même adopté en 1989 et entérine la libre circulation des capitaux. La chute du Mur de Berlin, puis l’effondrement de l’Union Soviétique amènent les Européens à se pencher sur les relations avec les pays de l’Europe de l’Est.

Les négociations de Maastricht porte sur les questions économiques où les Britanniques et les Allemands sont réticents à une monnaie unique, sur les questions de politique étrangère et de sécurité extérieure. Les Accords de Schengen prévoient la suppression des contrôles des personnes aux frontières internes et accroissent ceux aux frontières extérieures. La notion de citoyenneté européenne est abordée dans le Traité de Maastricht de 1992. Les citoyens membres de l’union peuvent voter aux élections municipales et européennes, même dans un autre Etat membre. Le champ de la compétence de la Communauté s’accroit à de nouveaux domaines : environnement, recherche, éducation, culture, formation et santé. Les pouvoirs du Parlement sont renforcés. Dans le même temps, la Communauté décide de réformer la PAC, avec des mises en jachère et des baisses de prix importantes, compensées par des aides directes aux exploitants. Cela provoque la colère des agriculteurs français.

L’Europe ne parvient toujours pas à parler d’une voix unique sur les questions de relations internationales comme le montre la guerre de Yougoslavie. Par ailleurs, le fossé entre les dirigeants et les peuples semblent s’agrandir. L’Europe est jugée responsable de tous les maux.


Les années euros
La marche vers l’euro a commencé, mais les marchés financiers restent nerveux et les opinions publiques demeurent dubitatives, voire hostiles. Les médias continuent de se détourner du discours européen, faisant la part belle aux eurosceptiques. Malgré les difficultés, les dirigeants continuent de travailler à la mise en place de la monnaie unique et de sa convergence. Chaque Etat met tout en œuvre pour créer les conditions nécessaires. Pendant ce temps, l’Autriche, la Suède et la Finlande ont fait leur entrée. En 1999, les pays votent pour adopter ou non l’euro. La Grande Bretagne, le Danemark et la Suède la refusent. Le néerlandais Wim Duisenberg est nommé président de la BCE. D’autres projets avancent notamment sur les politiques d’immigration et la mise en place en 1998 d’Europol, organe de coopération policière.

1999 marque un tournant dans l’équilibre entre les institutions. Profitant de la crise de la vache folle et du manque de popularité du président de la Commission Jacques Santer, le Parlement voit une opportunité d’affirmer son pouvoir. Il oblige la Commission à démissionner. Santer est remplacé par l’italien Romano Prodi. Il faut réformer les traités pour préparer les élargissements, organiser l’introduction de l’euro et réformer la Commission.

Un accord est trouvé en 2000 à Nice. La Commission sera composée d’un représentant national par Etat membre et plafonnée à 27. Son président sera nommé à la majorité qualifiée par le Conseil européen avec l’approbation du Parlement. La répartition des sièges est modifiée et les règles de vote se complexifient. Le traité de Nice soulève peu d’enthousiasme et on s’interroge sur son utilité. Une nouvelle équipe présidée par Giscard d’Estaing est chargé de rédiger de nouvelles lois institutionnelles dans un traité constitutionnel.

En 2004, l’Europe s’élargit avec l’entrée de Malte, Chypre, la Slovaquie, la Roumanie, la Lettonie, la Lituanie, la Tchéquie, la Hongrie, l’Estonie, la Slovénie et la Pologne. Puis en 2007, s’ajoutent la Roumanie et la Bulgarie. La Turquie demandant son entrée depuis les années 60 reste considérée comme un partenaire privilégié de l’Union. La qualité des préparatifs et l’engouement des Européens pour leur nouvelle monnaie font de l’opération un immense succès. Cependant la crise de 2001, fait ressortir la nécessité d’une politique économique et sociale à l’échelle de l’Union. Reste également les questions de politiques étrangères. Lors de la seconde Guerre du Golfe, l’Union européenne ne parvient pas à parler d’une même voie.

L’Europe est entrée progressivement dans la vie des citoyens. L’Union est complexe et peu lisible, mais elle a réussi à passer d’une communauté économique à une union politique, capable d’assurer la paix au sein de son territoire. Elle regroupe plus de 450 millions de personnes issues de 25 pays différents.


" Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes"
Jean Monnet


SOURCE
Texte : ANGEL, Benjamin : L'Europe : petite histoire d'une grande idée
Image : mountain-riders.org

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